Le débat, qui a réuni, hier, M. Ahmed Ouyahia avec les directeurs de journaux, a été marqué par la franchise. Presque tous les sujets de l'actualité politique ont été abordés sans aucun a priori que ce soit dans la forme ou dans le fond. Le chef du gouvernement n'a pas usé de faux-fuyants, même si par moments, pour des raisons évidentes d'intérêt politique, il a botté la balle en touche. C'est un débat qui transcende les habituelles rencontres entre lui et les représentants de la société civile. M.Ouyahia a pris plaisir à croiser le fer avec les patrons de presse sur les sujets qui fâchent. Et ils sont nombreux. L'ombre du journaliste Mohamed Benchicou a hanté les quatre heures de cette rencontre avec le chef de l'Exécutif qui, à l'en croire, ne serait pas la dernière puisqu'il nous promet «une autre dans moins de six mois». Quelques signaux de fumée ont été lâchés dès les premières minutes du débat. Traduise qui pourra! En évoquant les années de braise, notre hôte a évoqué les sacrifices de la société algérienne pour s'affranchir de la peur du danger islamiste. Il a cité, à ce propos, un article qui lui avait fait, à l'époque, une impression assez forte, indélébile puisqu'il s'en rappelle. «Cet article était brillamment écrit. Il collait parfaitement à l' ambiance de l'époque. Je me rappelle très bien, c'était dans le quotidien Le Matin que je l'avais lu.» Savoir lire entre les lignes est de bon ton, depuis quelques jours. Qu'un homme d'Etat de la trempe d'Ouyahia le proclame un matin de septembre 2005, sous les lambris dorés de la salle de réunion, là où se déroule habituellement le conseil de gouvernement, ne peut relever que de l'honnêteté intellectuelle. Et c'est ce qui a incité les directeurs de journaux à croiser le fer, parfois, avec lui en usant d'un ton inhabituel. Ouyahia, face aux journalistes, a joué à découvert. Sans bouclier. Il a dit OUI quand il le fallait, il a été intransigeant lorsque les intérêts de la nation l'exigeaient. La réconciliation nationale n'implique-t-elle pas le pardon pour tous? Le directeur du quotidien Djazaïr News, H'mida El Ayachi, aborde, sans ambages, le problème que pose à la presse la détention de Mohamed Benchicou, en ces temps bénis de réconciliation. Qui a osé d'abord parler de corde dans la maison d'un pendu? C'est bien lui, Ouyahia, chef du gouvernement, qui a tenu à rendre un vibrant hommage à l'article du Matin sans que personne l'ait inspiré sur ce terrain marécageux. Alors pourquoi se gênerait-on, ensuite, à parler éventuellement de sa libération au moment même où des émirs du Gspc remettent le couteau dans le fourreau avant leur reddition. Ouyahia s'est montré désolé. Vraiment désolé que l'on arrive jusqu'à emprisonner un journaliste. Le ton de sa réponse, sa gestuelle, mais aussi la sémantique qui caractérisera ses propos prouvent que ce chef de gouvernement n'est pas un «glaçon», comme certains aiment à le décrire. Lapidaire, il dit: «Je ne souhaite la prison à personne...» Entre-temps, il a rendu hommage au sacrifice de la presse, à son combat contre l'intégrisme, mais aussi à tous ses morts. La réconciliation nationale? C'est la chance unique de nous reconstruire, d'aller de l'avant. Là, il se fait plus disert, il fait totalement sienne la philosophie qui guide le président Bouteflika dans son choix d'initier ce projet de charte pour la paix et la réconciliation. Il a plaidé, et avec conviction, tous les bienfaits d'une paix longtemps attendue par les Algériens. Combien coûte ce référendum? Réponse: «Trois milliards de dinars.» La paix, elle aussi, a son prix. Quel est le nombre de terroristes en armes? Réponse: «Un millier environ.» Combien parmi ce millier déposeraient les armes? Réponse: «Deux cents, trois cents, plus... le plus important est de réduire leurs effectifs. Nous ne nous faisons pas d'illusions, ils ne descendront pas tous du maquis. Il y aura toujours des irréductibles qui ne répondront pas à l'offre de paix.» A-t-on déjà enregistré des redditions? Réponse: «Avant le début officiel de la campagne, c'est-à-dire pour les mois de mai, juin et juillet, nous avons comptabilisé plus d'une quarantaine de redditions.» «En fait, remarque-t-il, le flux des redditions n'a jamais cessé. 4000 pour la RAHMA, sous le président Zeroual, et 6000 lors de la concorde civile initiée par le président Bouteflika.» Abassi Madani s'est-il manifesté? Réponse: «Il est vieux et malade. Mais je sais qu'il ne changera pas. Actuellement, il vit chez son fils au Qatar.» Et les autres chefs de l'ex-FIS installés à l'étranger, qu'en est-il? Réponse: «Qu'ils rentrent! Il s'agit pour nous d'un problème de sécurité nationale. J'ai déjà lu leurs réactions dans la presse nationale, notamment celles de Rabah Kebir et de Abdelkrim Ould Adda. Ils y sont favorables.» Quel sort attend les patriotes après ce référendum? Réponse: «Nous allons vers la disparition du corps des patriotes après la restauration de la sécurité. La nation sera redevable aux immenses sacrifices qu'ils ont consentis pour sauver ce pays de la tragédie. Ils ne seront pas délaissés. Leur prise en charge sociale a lieu et elle aura toujours lieu. Pour eux et pour leurs familles. Ils bénéficieront du soutien économique et social ainsi que de toute la protection sociale, salaires et pensions compris pour eux et les leurs.» Les élections partielles? Réponse: «Elles s'annoncent bien. Elles seront plurielles. Elles permettront un dégel de la situation en Kabylie.» Le dégel concernera-t-il aussi la relation pouvoir-presse? Réponse: «Nous vivons dans un système démocratique. Les pratiques du passé seront révolues. Chacun doit faire son devoir d'inventaire. Les dérives qui ont caractérisé souvent, au cours de cette décennie, le fonctionnement de la presse doivent laisser place au professionnalisme. Nous sommes pour la liberté de la presse et d'opinion. Que la presse critique, je pense que c'est là sa fonction initiale dans un système démocratique. Elle doit puiser sa crédibilité dans sa manière de traiter les sujets avec objectivité. Il n'y a pas et il n'y aura pas de chasse aux sorcières. Nous sommes contre la diffamation gratuite. La fonction de contre-pouvoir de la presse n'est pas remise en cause. Plus de transparence dans la gestion des affaires de l'Etat ne fera de mal à personne. Depuis la réélection du président Bouteflika, nous avons relevé une évolution notable dans les moeurs de cette presse. Nous ne sommes plus dans le giron de la fin des années 90 où cinq journaux nourrissaient l'ambition de faire la République à eux seuls.» Autres temps, autres moeurs.