A chaque groupe, sa petite stratégie pour en sortir indemne à moindre coût. A deux semaines du référendum sur le projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale, les chefs islamistes sont plus que jamais partagés entre soutien, opposition et neutralité. S'appuyant sur des motifs religieux, politiques ou stratégiques, les dirigeants de l'ex-FIS et les chefs des groupes armés «autodissous» ont finalement divergé dans le fond et dans la forme quant à la démarche finale à adopter vis-à-vis d'un projet de paix qui, en fin de compte, les concerne, eux, en premier lieu. Les énoncés de la charte proposée par le président de la République ont été explicités dans une large mesure par les six étapes de la campagne présidentielle, organisées à Béchar, Blida, Oran, Laghouat, Sétif et Ouargla. Mais cela a, semble-t-il, accentué encore plus les divergences au sein des leaders de la mouvance islamiste, qui, selon les stratégies des uns et des autres, épousent une à une les mesures comprises dans la charte, les rejettent ou se contentent de suivre de loin les développements de ce projet. Virage à haut risque, s'il en est, le référendum du 29 septembre se négocie comme il se doit, et à chacun sa petite stratégie pour en sortir indemne à moindres frais. Si l'on évalue les choses au sein de la mouvance islamiste de l'ex-FIS, dans une sorte de tableau synoptique, on constate qu'il en ressort clairement trois blocs distincts. D'abord on retrouve le groupe des «oui à la charte». Ce groupe est constitué des chefs islamistes qui ont longtemps combattu les forces de sécurité les armes à la main. Devenus aujourd'hui panégyristes de la réconciliation et laudateurs invétérés de la paix, après avoir soutenu l'effort de guerre, ceux-ci se nomment Madani Mezrag, qui se présente comme le chef de file des soutiens islamistes à la charte proposée par Bouteflika, mais aussi de Ahmed Benaïcha, émir de l'ex-AIS pour la région ouest, Mustapha Kertali, émir de l'ex-AIS pour le Centre (avant de rejoindre l'AIS, il dirigeait le «bataillon Errahmane» du GIA stationné à Larbaâ), de Mustapha Kébir et Hamoudi Boudjnana. L'aile politique qui a soutenu la trêve de l'ex-AIS se range aussi dans cette classe. On y retrouve notamment Rabah Kébir et Abdelkrim Ould Adda, les deux premiers responsables de l'ex-FIS à l'étranger, mais aussi des anciens chefs du parti dissous comme Yahia Bouklikha, Djaâfar Houari, Anouar Heddam, Mohamed Kerrar, Hachemi Sahnouni et Ahmed Merani, malgré la critique argumentée et acide qu'ils posent à côté de la charte. Pour cette équipe, la charte est une phase transitoire non une étape finale de la paix, et les lacunes que comporte la charte peuvent être corrigées plus tard. «L'essentiel est que cessent la violence et le sang», et le temps est seul garant «pour établir les vérités historiques sur la genèse de la crise algérienne». Ces hommes pensent aussi que le président de la République est sincère et cohérent dans son discours et ses actes, et qu'il ira plus loin dans la réconciliation une fois que le peuple aura plébiscité la charte. L'autre bloc qui fait face à celui-ci est celui des «non-convaincus», qui ont montré quelque intérêt pour le projet, mais qui s'en sont vite détournés «parce qu'il exclut le FIS de toute activité politique future, en même temps qu'il lui fait porter, à lui seul, tout le poids de la tragédie nationale». Dans ce clan, on trouve notamment Mourad D'hina, Mustapha Habès et Fillali, le «trio de Genève», mais aussi Abdelkader Boukhamkham, qui pense que la politique se fait avec des mesures d'apaisement concrètes et des procédés vérifiables, «non avec des promesses et de la métaphysique». Dans ce même groupe, on peut ajouter aussi Mohamed Denideni, Ahmed Chouchane, Abdellah Anas et Kamredine Kherdabane, tous exilés en Grande-Bretagne, comme on peut les placer en classe n°3. Dans la troisième classe, on peut énumérer un vaste ensemble qui ressemble à un fourre-tout où s'inscrivent pêle-mêle les indécis, les circonspects, ceux qui ne sont convaincus de rien, ceux qui ont refait leur vie hors de l'islamisme politique ou qui ne veulent plus s'exprimer, tout simplement. On mettra sans hésiter dans cette classe Ali Djeddi, Kamel Guemazi, Noureddine Chigara, Omar Abdelkader et Abdelkader Moghni. Les arguments qu'avance ce groupe sont les suivants: «Le projet comporte des non-dits, des imprécisions et des omissions, et il faut être vigilants et rester à l'écoute des prochains, lesquels nous feront pencher pour ou contre.» En fait, deux points agacent les islamistes de la seconde et dernière classes: l'exclusion politique de l'ex-FIS et sa responsabilité historique dans le début de la crise. Hormis ces deux points, il y a presque un consensus sur la nécessité de cette réconciliation nationale, et tous les chefs islamistes que nous avons interviewés brandissent ces deux points en premier lieu comme points de discorde. Les partisans du «oui» espèrent que le président, «qui a dû respecter des équilibres politiques extrêmement fragiles», rétablira «les hommes et les vérités dans leurs droits».