«J'ai pris la décision de réunir moi-même les fonds pour les finitions de mon film en lançant, entre autres, une opération de crowdfunding dans les prochains jours», a déclaré l'auteur de Khouya. Le scénariste et réalisateur Yanis Koussim a adressé récemment deux lettres ouvertes «aux responsables du cinéma» du pays pour leur faire part de la situation inconfortable dans laquelle il est acculé depuis des mois. Il explique dans la première «le cas de mon film Alger by night est bien connu dans le milieu du cinéma. Je ne vais donc pas m'étendre là-dessus». Rappelons tout de même que le réalisateur avait entamé le tournage de son film il y a quatre ans de cela, avant de voir ses images confisquées par le premier producteur. Après qu'il les a récupérées, seulement en octobre 2017, il n'a pu reprendre le travail là où il s'était arrêté. «Suite à une cinquième semaine de tournage, courant novembre 2017, je me suis attelé au montage qui a été l'une des plus belles expériences de ma carrière de cinéaste. Le miracle du cinéma avait opéré encore une fois et, après un peu plus de sept semaines de montage, j'avais entre les mains une version qui se tenait d''Alger by night'' vers la mi-février 2018. Puis plus rien...tout s'est arrêté à nouveau! Pourquoi?» Yanis Koussim indique avoir appris «que, fin décembre 2017, un cut, résultant d'à peine trois semaines de montage, avait été montré au ministère de la Culture qui a jugé le film de «choquant»!. Ce dernier a donc demandé de vérifier la conformité du scénario déposé et validé par la commission du Fdatic avec ce que qu'il avait filmé. Ce que Ahmed Bedjaoui a fait depuis un mois maintenant. Dépité, le réalisateur qui se demande ce qui a pu choquer le ministère de la Culture en voyant son film, confie son désarroi dans cette lettre ouverte face à ce silence des responsables qui, pourtant, avaient selon ses dires, bel et bien validé le scénario, ce qui l'autorise à bénéficier de l'aide du Fdatic. Ce qui fut le cas en effet pour les deux premières tranches. Que s'est-il passé depuis? «Je n'ai aucune information précise à ce sujet. Ce dont je suis certain, c'est que toutes les versions du scénario de mon film que le ministère de la Culture a eues entre les mains sont conformes à ce que j'ai filmé.». Coup de théâtre, voire même un coup dur pour le réalisateur qui affirme: «Suite au visionnage de ce cut de fin décembre 2017, j'apprends que la dernière tranche de l'aide du ministère de la Culture ne nous sera donnée qu'à la remise de la copie finale d'Alger by night... dernière tranche vitale pour mon film, qui est censée payer la post-production pour l'obtention de...la copie finale!» Le voila à nouveau dans l'impasse. Et de souligner encore: «5 mois plus tard, soit le 2 mai 2018, vu que rien ne bouge, je dépose un courrier au ministère de la Culture, en tant qu'auteur d'Alger by night, m'inquiétant de la situation... La seule information que j'ai eue, toujours de vive voix, est que la personne qui doit décider de la conformité, ou pas, du scénario d'Alger by night avec ce que j'ai filmé était Ahmed Bedjaoui... Seulement, quand cette décision doit-elle être prise? Je n'ai à ce sujet aucune information.» Et d'interroger ainsi les responsables: «Quelles sont vos intentions quant à mon film Alger by night», film dont vous détenez, si je ne me trompe pas, 43% des droits, et qui est financé par l'Algérie à presque 70%? Si vous voulez le censurer - je ne veux pas le croire, mais j'en ai vu d'autres concernant ce film - dites-le moi clairement, installons-nous autour d'une table et j'arriverai à vous convaincre sans peine qu'il n'y a rien à censurer dans mon film. Je suis pour que les choses soient dites, qu'elles soient claires et...surtout écrites! Et d'indiquer: «Je reste encore persuadé que la volonté du ministère de la Culture et la mienne convergent. Il n'y a aucune raison, à ma connaissance, pour que ce ne soit plus le cas. Je me dois de finir ce film quoi qu'il arrive, et j'y mettrai tous les moyens dont je dispose, ainsi que toute mon énergie. Il y va de mon engagement envers toute une équipe de techniciens et de comédiens qui se sont donnés à fond lors de la préparation, du tournage et du montage. Il y va de ma fiabilité auprès de fonds nationaux et internationaux qui ont aimé mon scénario et soutenu mon cinéma. Il y va enfin de mon grand attachement à Alger by night qui est mon premier long métrage et mon film le plus personnel jusqu'à présent!». Nouveau coup de théâtre pour le réalisateur qui était et est encore dans le flou artistique total face au silence criard de la tutelle. En effet, sur les réseaux sociaux, Ahmed Bedjaoui qui a pris la peine de répondre à Yanis Koussim a fait savoir que les choses étaient réglées depuis longtemps. En effet, il nous avait informé il y a plus d'un mois qu'il venait de déposer son bilan du Fdatic au bureau du ministère de la Culture. Entendre que le scénario était bel et bien validé par ses soins. Hors, le cinéaste de Alger by night soutient n'avoir reçu aucune réponse. «Nous n'avons rien reçu. Aucun écrit officiel. Même après mon courrier...». N'ayant donc aucune réponse quant à sa «requête de revoir le plan de décaissement de l'aide du Fdatic, via le Cadc, pour que la post-production puisse être entamée» Yanis Koussim a, dans une seconde lettre, fait savoir qu'«une opération de crowdfunding sera lancée incessamment» pour les besoins de finitions de son film, sans perdre espoir pourtant, quant à un dénouement heureux pour la suite des événements. Ayant vu le film nous-mêmes, nous pouvons certifier qu'Alger by night n'a rien de choquant, comparé à d'autres longs tunisiens et marocains qui font pourtant la richesse même de la cinématographie de ces pays. Excès de zèle, mauvaise foi ou montée en puissance de l'islamisme intégriste qui est en train de miner dangereusement le pays et auquel voudrait-on finalement faire allégeance? Nos voisins sont-ils plus courageux que nous? Que faisons-nous alors de la liberté d'expression d'un artiste? Du devoir d'informer et de répondre au citoyen tout court? Ahmed Bedjaoui a fait savoir que le pouvoir est entre les mains du Centre algérien du développement du cinéma (Cadc) et le Centre national du cinéma algérien (Cnca) qui s'occupent de la logistique et du contrôle du financement. Qu'attendent alors ces dernières instances pour réagir et sortir de leur politique de l'autruche? Déterminé plus que jamais à résoudre ce problème par la voie de la communication avec les responsables du secteur, Yanis Koussim a dans une 3e lettre écrite, hier, indiqué: «Je réside à 3 heures de route d'Alger; si je suis prévenu la veille, je peux être à votre bureau le lendemain matin au cas où vous souhaiteriez vous entretenir avec moi.»Alors oserait-on me répondre cette fois? O.H.