Un grand jour pour les Afghans que ce 18 septembre qui verra la première élection législative depuis trois décennies. L'Afghanistan franchira aujourd'hui une nouvelle étape dans la consolidation du processus démocratique issue des accords de Bonn de 2001, en élisant le premier Parlement afghan depuis plus de trente ans. Ainsi, près de 12,5 millions d'Afghans et d'Afghanes sont appelés aujourd'hui à élire une assemblée nationale (Wolesi Jirga) et 34 conseils de province, un an après l'élection au suffrage universel du président Hamid Karzaï et dix-huit mois après l'adoption d'une nouvelle Constitution. 5770 candidats sont en lice et postulent à un siège dans la nouvelle Assemblée nationale afghane (Wolesi Jirga). Il est patent que ce premier scrutin législatif sera un peu particulier dans la mesure où tous les candidats sont indépendants, les partis politiques (en gestation), ou groupes ethniques ayant été exclus par la loi électorale pour des raisons évidentes. Toutefois, il faut noter qu'une majorité de candidats ‘'indépendants'' sont en fait d'anciens chefs de guerre, émirs et autres chefs de tribus, solidement implantés dans leurs fiefs dans un Afghanistan largement traditionaliste et marqué par le tribalisme, situation qui demandera sans doute beaucoup de temps pour être résorbée. Aussi, un dilemme s'est posé aux responsables afghans et onusiens (l'ONU est le maître d'oeuvre de ces premières législatives afghanes): exclure émirs et chefs de guerre pour donner crédit et impulsion démocratique au scrutin législatif, ou tabler sur une reconversion de ces anciens seigneurs de la guerre en hommes politiques responsables? La première option (l'exclusion) présentait l'inconvénient de maintenir le pays dans l'instabilité avec la possibilité pour ces chefs, forts de leur établissement dans des fiefs inexpugnables, de créer de véritables Etats dans l'Etat. Dès lors, c'est la seconde option qui a été retenue avec l'espoir de voir ces chefs s'amender au contact de la vie parlementaire ouvrant la voie à plus de liberté et posant les premiers jalons à la construction de la démocratie dans un pays qui sort à peine des trois décennies de guerre civile et d'exclusions multiformes. Donc, comme l'affirme un représentant de l'ONU, le scrutin ne serait sans doute pas parfait, à l'instar de ce qui se fait dans les démocraties, mais l'expérience afghane est importante dans le sens où il s'agit d'un processus tendant à rétablir les institutions et redonner à l'Etat toutes ses prérogatives. De fait, conscient des insuffisances de ce premier scrutin libre en Afghanistan, un représentant de l'ONU à Kaboul, Filipo Grandi, a indiqué lors d'une conférence de presse tenue jeudi «Ce scrutin est-il parfait? Non. Ce scrutin va-t-il répondre à toutes les attentes des Afghans? Non. Mais il constitue un très grand pas dans la bonne direction». De son côté, la présidente de la Commission indépendante afghane des droits de l'Homme (Aihrc), Sima Samar a estimé pour sa part lors de cette même conférence de presse que «d'une manière générale, la situation semble bonne, malgré les menaces et les intimidations. Il y a toujours des problèmes, mais à un niveau moindre que ce à quoi nous nous attendions». Des problèmes en effet, il y en a, ne serait-ce que la violence qui persiste et les campagnes d'intimidation des talibans contre les candidats à la députation, dont l'un (le septième) a été tué jeudi dans le sud du pays. Par ailleurs, parallèlement au parachèvement de la mise en place des nouvelles institutions de l'Afghanistan, une lutte implacable se poursuit contre les rebelles et les talibans. Ainsi, selon des chiffres fournis par les autorités afghanes, quelque 1100 personnes, en grande majorité des rebelles présumés, ont été tuées depuis le début de l'année en Afghanistan, contre 850 pour l'ensemble de l'année 2004, dans des violences concentrées surtout dans le sud, le sud-est et l'est du pays, proches de la frontière pakistanaise. Dans la nouvelle situation induite en Afghanistan, le président afghan, Hamid Karzaï, entend poursuivre sa politique d'amnistie et de réconciliation entamée depuis son élection à la tête de l'Etat, avec pour objectif de tendre la main (il exclut toutefois de l'amnistie le chef des taliban le mollah Omar) à tous ceux qui sont prêts à déposer les armes et de prendre part à la reconstruction de l'Afghanistan, et aussi afin de mettre un terme à la violence dans le pays. A la veille du scrutin législatif, le président Karzaï a ainsi déclaré dans une interview au magazine français Le Monde 2, paru hier dans le supplément du quotidien Le Monde «Tout taliban qui veut revenir au pays et ne s'est pas livré à des activités criminelles est le bienvenu en Afghanistan, il est ici chez lui» précisant: «Deux cent cinquante talibans de haut rang» sont retournés au pays, mais il n'y aura «pas d'amnistie pour le mollah Omar. Il mène une vie agréable dans un pays étranger, installé dans une maison d'hôte, et envoie des jeunes Afghans mourir en détruisant leur pays» a ajouté M.Karzaï. M.Karzaï estime par ailleurs qu'il est désormais «impossible de stopper le processus» démocratique en cours ajoutant: «Il y a trois ans, le pouvoir central contrôlait à peine 30% de l'administration du territoire, aujourd'hui, c'est 100%». De fait, du succès du scrutin législatif dépend en partie la mise en place des nouvelles institutions appelées à gouverner le pays.