Le discours du cheikh septuagénaire paraît soudainement décalé, isolé au milieu d'un fleuve de «oui» islamiste au projet de charte pour la paix. Dans un communiqué de presse rédigé et diffusé hier, et dont L'Expression détient une copie, le n°1 de l'ex-FIS Abassi Madani monte d'un cran pour dénoncer ce qu'il qualifie de projet élaboré pour disqualifier les islamistes de toute activité politique. Exilé à Doha depuis 2002, l'ancien tribun du Front islamique du salut, dissous par voie de justice le 4 mars 1992, se dirige vers le peuple, qu'il prend à témoin pour se lancer dans de longs rappels historiques: «Le retour à la source de la crise est plus que jamais une exigence d'actualité.» Il cite les grandes dates durant lesquelles l'armée s'était emparée du pouvoir, pour arriver à conclure que, en fait, c'était l'oligarchie militaire qui avait en main le commandement de l'Algérie et possédait, de ce fait, le pouvoir de conclure une guerre ou une paix. «Lorsque le président Bouteflika choisit d'aller vers une réconciliation nationale comme une solution finale à la problématique de la crise en Algérie, c'est qu'il avait dû constater l'inanité de la solution sécuritaire. A ce moment-là, le peuple avait répondu favorablement à la politique du président, et nous-mêmes, nous avons apporté notre appui au projet.» Pour Madani, il y avait des mesures urgentes et concrètes à prendre en ligne de compte pour que la réconciliation réussisse, mais, constate-t-il, «le pouvoir n'a pas fait preuve de bonnes intentions, en mettant les calculs au-dessus de la rigueur, en persistant à privilégier la solution sécuritaire au détriment d'une solution politique, seule voie selon tous les sages du pays à pouvoir rétablir une paix définitive». Abassi interpelle le président Bouteflika: «Au nom de quels équilibres politiques le projet de charte a-t-il dérivé d'une réconciliation nationale vers un projet politique qui consacre falsifications historiques, exclusion et mesures juridiques iniques. Il n'est de paix durable sans recourir au peuple à propos de tout ce qui le concerne aux plans politique, social, économique, culturel et historique.» Le même peuple est encore pris à témoin pour dire que «si l'on veut en finir avec la crise, il faudrait au moins en finir avec ses sources et ses motifs et c'est à ce prix que peut être rétablie la paix entre tous sur une base saine de justice, de confiance et de légitimité». En fait, Abassi Madani ne dit ni oui ni non au projet de charte, mais il est tout à fait clair qu'il lui tourne définitivement le dos, pour le moins concernant l'étape actuelle. Après avoir soutenu l'idée du projet, lancé au début de l'année par Bouteflika, Madani estime qu'il ne signerait pas de ses propres mains son exclusion politique. Septuagénaire, l'ex- n°1 du FIS adopte au crépuscule de sa vie un discours plus radical que la quasi-totalité des dirigeants de l'ex-FIS à l'étranger, et donne l'air d'être de plus en plus isolé dans le fleuve de « oui » islamistes à la charte. Seuls Mourad D'hina, Abdellah Anas et quelques rares autres hésitent encore à cautionner le projet de charte au motif qu'il disqualifie les anciens dirigeants du FIS de toute activité politique et leur fait porter le fardeau de tout ce qui s'est passé depuis 1992. Pour les autres, Kebir, Ould Adda, Ghemati, Mezrag, Kertali, Benaïcha, Sahnouni, Merani, Bouklikha, Djaâfer El Houari, Thabet El Aouel et même des radicaux comme Haddam, Zaoui, Djamel Lounici et Kamareddine Kherbane, le projet de charte est «jouable»: d'un côté, ils estiment que c'est déjà un bon pas vers la paix et la réconciliation, et que les islamistes, qui ont montré leur disposition pour la guerre, doivent démontrer leurs aptitudes pour la paix. Et d'un autre côté, ils pensent que le projet de charte n'est pas le saint Coran et que des concessions politiques peuvent être arrachées demain à Bouteflika.