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Face-à-face Merani-Bouklikha
DEBAT AU SEIN DE L'EX-FIS
Publié dans L'Expression le 01 - 09 - 2005

Le projet de charte, s'il ne divise pas encore les islamistes, attise les polémiques.
«Il y a de faux acteurs dans la réconciliation»
Au premier cercle des fondateurs-dirigeants de l'ex-FIS, Ahmed Merani fait une apparition tonitruante à la télévision en fin juin 1991, pour dénoncer en direct les dérives politiques de Abassi Madani. Il fait partie de l'Exécutif dirigé en 1992 par Sid Ahmed Ghozali, puis occupe divers postes au sein de l'appareil, le dernier aura été celui de sénateur du tiers présidentiel. Si la mosquée peut mener à tout, la politique, pour lui, n'aura mené à rien. Propos d'un homme en colère.
L'Expression: La charte selon Merani, c'est quoi?
Ahmed Merani: C'est une tentative de s'amarrer à la paix civile. Rien de moins, mais rien de plus aussi. Mais je voudrais vous dire que j'ai appelé à faire la paix en 1991, avant d'entrer en confrontation directe. Il y eut des dérives et des tâtonnements par la suite, et c'est dommage. Cela avait abouti à un fleuve de sang...
Pour revenir à la charte elle-même, aux mesures qu'elle définit, disons qu'elle reste une tentative sérieuse pour sortir de la spirale de violence, mais elle est un rien ambiguë et il appartient à ses initiateurs de nous expliquer les zones d'ombre.
Quelles sont ces zones d'ombre?
Je vous donne un exemple concret, et qui me vient à l'esprit le premier. Le texte dit que tous ceux qui ont contribué à la tragédie nationale sont interdits d'activité politique. Mais qui sont ceux qui ont contribué à la violence? Quels sont les paramètres sur lesquels s'appuiera la loi pour définir le profil de celui qui a contribué à la violence? Est-ce Abassi Madani? Est-ce Ali Benhadj? Est-ce Madani Mezrag? Est-ce les politiques ou ceux qui ont pris les armes? Quel est le niveau d'implication d'un Ali Benhadj dans la violence? Il se peut qu'il ait encouragé, mais il n'a jamais pris les armes, il n'a jamais pris le commandement d'une unité de combat. Il en a va de même pour Boukhamkham et Ali Djeddi: y a-t-il un communiqué signé de leur main appelant au djihad? Jamais!
Tout cela a besoin d'une explication détaillée et argumentée car si les initiateurs laissent les choses en l'état, chacun pourra faire l'exégèse de la charte selon ses propres humeurs.
Qu'est-ce qui fait peur aux islamistes dans cette charte?
En fait, tout le monde y adhère, mais en émettant des réserves, en y formulant des critiques. Un des points qui a le plus peiné les islamistes, c'est celui qui précise que le drame vécu incombe aux seuls éléments du FIS. Ces derniers ne sont pas, certes étrangers à la tragédie vécue par tout le peuple algérien, mais tout le monde sait que des membres des forces de l'ordre ont été coupables de «disparitions forcées», d'arrestations arbitraires et d'assassinats extrajudiciaires. Et tout le monde sait que des groupes armés ont kidnappé, «jugé» et assassiné des membres des services de sécurité et des citoyens.
Il y a des enjeux, des équilibres à respecter dans le contexte politique actuel...
Heureusement qu'on pense qu'il y a cela, que le président de la République ira plus loin. Car les choses telles qu'elles se présentent n'emballent pas les connaisseurs et ne peuvent présenter un intérêt particulier. Les non-dits de la charte seront mis à jour plus tard car une mise à jour doit être effectuée.
Oui, justement, ne pensez-vous pas que le débat sur le charte brille par un manque de sérieux flagrant?
Non, je ne pense pas qu'il existe uniquement un manque de sérieux. Dès le départ, le débat a été faussé, parce que les acteurs engagés dans la paix et la réconciliation sont de faux acteurs. Nous assistons à une sorte de conglomérat de laudateurs, de panégyristes, et de courtisans, qui soutiennent le président lui-même, non la paix. Et si demain, le président dit: «Non, on n'ira pas à la réconciliation, il faut continuer la querelle politique contre les islamistes», tout le monde va applaudir et dire non à la paix, non à la réconciliation. Nous sommes en présence d'une faune de prédateurs opportunistes très dangereux qui savent chevaucher sur les vagues contraires et s'engouffrer dans toutes les failles imaginables que leur offrent les possibilités politiques de l'heure.
Qui peut finalement convaincre en même temps les leaders islamistes et les groupes armés?
Une seule chose peut convaincre l'Algérie entière: la justice pour tous. Le déni de justice a généré depuis 1962 un état d'esprit révolté que rien ne peut calmer. Aujourd'hui même, il me semble que c'est là encore un motif de discorde. Pourquoi continuer à harceler un Ali Djeddi ou un Abdelkader Boukhamkham? Ce dernier, après sa sortie de prison en 1994, est allé dans les maquis, au péril de sa vie, pour convaincre un groupe armé de déposer les armes. Pourquoi continuer à restreindre les mouvements des islamistes qui ont démontré leur intégration dans l'effort de paix actuel.
Les autorités se sont lancées dans un processus complexe sans consulter personne, alors que le contexte actuel, marqué par un enchevêtrement des problèmes, requiert l'effort de tous. La crise est politique, et elle l'a été à la source. Le projet de Charte est un calmant, non une thérapie...
Vous ne donnez pas encore votre ordonnance à vous?
Ecoutez, dès 1991, j'ai appelé au calme, j'ai fustigé l'ex-FIS, au moment où personne n'osait parler, et encore moins formuler une critique à l'encontre de ses leaders. Des chefs islamistes comme Kerar ou Bouklikha ont fait autant. En 1991, une vingtaine de chefs islamistes ont appuyé le président de la République, sans aucune contrepartie politique, et nous continuons de l'appuyer. S'il nous sollicite, on répondra présent, mais il faut que la thérapie soit globale, totale.
«La grève de 91 a généré la violence»
Enfant de Tlemcen, enseignant du secondaire, il a fait partie de l'équipe qui a construit l'ex-FIS, avant de commencer à dénoncer ses dérapages. A 53 ans, il reste encore sans pitié pour les anciens chefs du parti dissous qui l'ont conduit à la confrontation avec les autorités. Gros plan sur un ancien « tablighi » qui a choisi son camp.
L'Expression: Le président de la République a élaboré un projet de Charte qui nourrit les débats et attise les polémiques. Quelle lecture en faites-vous?
Yahia Bouklikha: C'est ce que j'ai vu et entendu de meilleur depuis plusieurs années. Il est dans l'ordre de la nature qu'il y ait des périodes de guerre et des périodes de paix, comme il est dans la logique des choses qu'il y aitdes années de violence et des années de réconciliation. Dieu nous a enseigné le pardon et la repentance, et il nous faut saisir cette occasion qui se présente aujourd'hui. Le projet en question comptera dans le chapitre des grandes réalisations politiques du président Bouteflika. C'est une avancée inestimable qui est appelée à être poussée plus avant.
Certains chefs de l'ex-FIS affichent encore une attitude circonspecte. Qu'est- ce qui ne plaît pas à tous les anciens chefs du parti dans la présente Charte?
Oui, oui, il y a un point dans le préambule qui dit que la tragédie nationale est comptabilisée sur le compte de l'ex-FIS. En fait, la Charte fait porter la responsabilité du drame national à ceux qui ont délibérément appelé à la fitna. La Charte ne pointe pas un doigt accusateur sur les chefs politiques de l'ex-FIS, mais sur ceux qui ont attisé le feu, appelé à la violence et nourri la fitna. Les autorités ont le plein droit de rendre responsables ces chefs, et s'ils échappent à la justice des hommes, ils n'échapperont pas à la justice de Dieu.
Soyons aujourd'hui responsables et témoins devant les hommes. Lorsque nous avions dénoncé les dérives de juin 1991, nous avons été accusés de haute trahison par nos propres «frères», nous avons été menacés, et injustement isolés. Où est le courage de ces hommes aujourd'hui? Qu'ils disent qu'ils se sont trompés, qu'ils reconnaissent leurs erreurs publiquement. En fait, tout a commencé par les dérives de la grève générale de juin 1991. La grève avait généré une fitna, et la fitna avait été le commencement de la violence qui a suivi.
Il y a quelques jours, le porte-parole de l'ex-FIS à l'étranger Abdelkrim Ould Adda, disait dans les colonnes de l'Expression, qu'il était prêt à sacrifier l'ex-FIS pour la paix en Algérie. Qu'en pensez-vous?
C'est un langage de juste, de sage, de courageux, qui plus est, l'idée même est sage. L'émettre, la formuler en public, c'est fort. Je trouve que Ould Adda a été sage et courageux à la fois. L'idée de l'ex-FIS en tant que parti est dépassée ...
D'autre trouvent que l'ex-FIS reste une réalité incontournable, malgré sa dissolution politique ...
C'est uniquement un discours, sans plus. Et ceux qui le tiennent aujourd'hui sont ceux-là mêmes qui ont assassiné le parti en poussant les deux chouyoukh à la confrontation directe et à la grève illimitée. On est arrivé à quoi aujourd'hui? A rien du tout. Tu marches, tu croises un islamiste barbu, et tu as quelques appréhensions, si tu n'as pas carrément peur. Voilà le résultat d'un islamisme hégémonique.
Vous avez démarré pourtant avec la djamaâ «Tabligh et hidjra», un mouvement islamiste non politique qui fait du prosélytisme religieux son sacerdoce ...
Oui, c'était dans les années soixante-dix. On faisait des derous religieux, on parcourait les villes et le prosélytisme religieux était très bien portant. Les autorités toléraient les «Tablighis» parce qu'ils étaient pacifiques et hostiles à la politique dans le discours religieux. En fait, ce sont les communistes qui nous ont ouvert les yeux et fait basculer dans le discours politique vers la fin des années soixante-dix. Ils étaient tellement entreprenants, puissants et très hostiles aux islamistes qu'ils nous ont poussés à adopter un discours parallèle, un discours de confrontation.
Revenons à la charte pour la paix civile, les premiers concernés, les groupes armés semblent éloignés des soucis des chefs islamistes. Peut-on venir à bout de leurs hésitations?
Ecoutez, dans le projet de charte, tout s'articule autour de la prise en charge des familles éprouvées par le drame national. Après l'adoption de la charte, et si ses applications vont à terme, les hommes en armes encore ont de quoi être convaincus réellement. Les mesures concrètes autour desquelles s'articule le projet de Bouteflika doivent être appliquées et menées à leur terme, quel qu'en soit le prix. Ce n'est que de cette manière qu'on pourra venir à bout des réticences des groupes armés et de leurs craintes. Il faut les calmer, les rassurer et les prendre en charge plus tard, notamment sur le plan du travail, car le chômage donne aussi des idées...


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