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Les trois villages oubliés
AZAKNOUN, THIGHILT NATH MOHAND ET ATH BOUALI
Publié dans L'Expression le 22 - 07 - 2018

L'agriculture se résume à nourrir la petite famille
Loin des fastes des villes, ces régions attendent les effets d'une indépendance lourdement payée pendant la révolution.
Pour les besoins d'assister à un enterrement, nous avons découvert la vie dans un village en cette période caniculaire. Le village se trouve aux limites de la région de Thamalahth dans la commune d'El Adjiba. Azaknoun est un bourg avec des maisons éparses autour d'une belle mosquée. C'est l'unique édifice public de cette contrée. Toute la journée des tracteurs livraient l'eau dans des citernes. «Les conduites sont là depuis un moment, l'eau, elle, demeure absente. Les responsables sont déjà venus, nous ont promis de régler cet épineux manque, mais nous continuons à débourser 1 000 DA pour 100 litres», nous confie un habitant adossé au mur de la mosquée fermée. «Nous sommes entourés par des réservoirs, des communes des autres wilayas sont alimentées à partir de Tilesdit. Quand nous nous trouvons à quelques kilomètres de ce barrage, nous manquons d'eau», ajoute notre interlocuteur. Le pire est à craindre surtout et selon les habitants, la localité manque d'un réseau d'assainissement. «Les forages existants sont exposés à une pollution parce que chaque ilôt habité a recours aux fosses septiques» affirme un autre citoyen. Ce village manque aussi de voies d'accès. Hormis le chemin communal qui relie la localité à la RN5 et le chef-lieu de la commune, aucune voie n'est goudronnée.
La poussière en été et la boue en hiver sont les deux autres soucis permanents des habitants. Au retour vers Bouira, nous avons emprunté un chemin de wilaya qui contourne Bechloul par l'est. Là aussi nous avons découvert un hameau qui regroupe plus de 500 habitants. Situé à environ 10 kilomètres du chef-lieu de la commune d'Ouled Rached sur les limites de la wilaya avec Bordj Bou Arréridj, Thighilt Nath Mohand est un village qui manque de tout. Au regard de la dynamique qui caractérise l'ensemble du territoire de la wilaya, les habitants se disent lésés et laissés pour compte. Le gaz, l'AEP, l'assainissement, les routes, l'emploi sont autant de doléances soulevées par les citoyens dans de nombreux écrits transmis au wali et aux diverses administrations. L'inexistence d'opportunités d'emploi est à l'origine de l'exode vers les villes. Même la présence des carrières aux alentours de la commune n'a pas profité aux jeunes de cette contrée qui, quotidiennement, se rendent à Zeriba, Bechloul et à Bouira pour essayer de s'occuper et glaner quelques sous. Même ces déplacements sont difficiles eu égard à l'inexistence des moyens de transport. Les clandestins restent maîtres des lieux et travaillent à leur guise. Ce manque de possibilités d'emploi a fait du chômage un fantôme qui hante les esprits, mais est aussi à l'origine de l'émergence de fléaux sociaux graves comme la consommation des stupéfiants, l'augmentation des vols et une déperdition des valeurs d'antan qui dominaient dans les villages.
1000 DA la citerne d'eau
Le village ne dispose d'aucune structure de jeunesse en mesure d'occuper cette frange de la société qui est livrée à elle-même. Le manque d'eau et la promesse de raccorder le village au réseau de transfert depuis le barrage Tilesdit, est un autre fait qui complique la vie au quotidien. Là aussi et tout au long de l'été, les vendeurs dictent leur loi. Une citerne d'eau potable est livrée moyennant 1000 DA. Le gaz butane reste le seul moyen énergétique disponible. Devant la hausse du prix de la bouteille surtout en hiver où la consommation est plus importante, certains jeunes ont bradé le danger, violé la loi pour recueillir le bois dans les forêts alentours et le vendre. «La situation de pauvreté, le désespoir d'accéder à un poste d'emploi et la nécessité de compter sur soi poussent les jeunes à basculer dans l'illégalité» pense un sexagénaire qui précisera que la région s'est levée contre les fossoyeurs de la République pendant toute la décennie noire. L'agriculture qui reste l'unique opportunité susceptible de résorber une bonne partie de la population connaît un essor faible. Les divers programmes retenus ne connaissent pas une grande avancée. Quelques familles ont investi dans l'apiculture, surtout que le village est entouré d'une forêt dense. La commercialisation du produit freine l'activité. L'agriculture continue à être traditionnelle et se résume à nourrir la petite famille. Sur le plan de la couverture sanitaire la région souffre d'une faiblesse majeure puisque la seule structure, une salle de soins, ne répond pas aux exigences de la population. Ne pouvant pas assurer les ser-vices nécessaires et appropriés, le manque de fournitures médicales telles que les médicaments, le manque de personnel médical, obligent dans de nombreux cas les patients à aller vers les hôpitaux des villes avoisinantes.
Les villageois, d'Ighil Nath Mohand, continuent à croire en l'avenir, eux qui ont longtemps souffert du fléau du terrorisme. L'inscription de plusieurs projets d'utilité publique et la détermination de l'administration locale à concrétiser ses promesses sont des faits qui sortiront le village de son isolement et mettront un terme à des années d'oubli et de marginalisation.
Pour cela les villageois sollicitent l'intervention directe du wali et des autorités concernées pour les sortir du cercle de la misère et les privations qui leur sont imposées depuis des années.
Le temps s'est figé
La situation est la même plus à l'est. Ath Bouali est un village fixé en amont de la rive est de oued Essahel. Relevant de la commune de Thaourirt Nath Mansour, il continue à vivre au rythme des années de braise. Depuis l'indépendance et hormis une école primaire, ce village est resté à son état initial, celui d'une Algérie d'antan. Aucune structure économique n'est venue s'installer pour essayer de résorber un chômage record; parce qu'ils tiennent à leur région, les jeunes perpétuent un métier millénaire, mais rude: la taille de la pierre. Exposés aux risques des diverses maladies, travaillant plus de 15 heures par jour, ils façonnent accroupis des rocs dans les carrières dont regorge la région pour donner forme à des pierres qui iront orner les luxueuses villas des nantis et des chanceux des autres contrées du pays. Eux crèchent encore et toujours dans des taudis qui n'offrent aucune vie décente. Même le vestige qui raconte l'histoire de ce pays, le fort colonial de torture, subit le sort des humains. Laissé à l'abandon il résiste aux aléas de la nature, hiver comme été quand ailleurs on débourse des milliards pour un fort turc avec lequel on veut faire admettre et rendre évident une appartenance à cette ethnie, venue coloniser le peuple berbère d'Algérie. Comme pour rappeler et narguer ces populations frondeuses, avides de liberté à travers les siècles, la station de pompage de pétrole, située sur le territoire de la commune profite à la wilaya de Béjaïa où est versé le gros des taxes et où est recrutée la majorité des personnels. Ath Bouali, Azaknoun, Tighilit Mohand, sont un exemple exhaustif de cette Algérie dont personne ne parle. Loin des fastes des villes, ces régions attendent les bienfaits d'une indépendance lourdement payée pendant la révolution et une République sauvée dans le sang et le drame lors de la décennie noire.


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