«Certaines pharmacies sont de simples épiceries où l'on achète ce que bon nous semble» Tranquillisants et produits de substitution font des ravages. Rolypnol, Tranxène, Temesta. Ces noms ne figurent pas au palmarès des saisies de drogues. Et pour cause, tous les trois sont disponibles en pharmacie. Des produits donc licites, mais que faire, ces produits sont distribués même sans ordonnance et sans le moindre respect de la posologie des médecins. Beaucoup de pharmacies aujourd'hui sont abandonnées à des vendeurs sans scrupules, sans qualification aucune et totalement étrangers au domaine pharmaceutique. Or, un usage détourné des médicaments cités tend à se développer, et les ravages provoqués n'ont rien à envier à ceux de la «poudre blanche». Ingurgités à hautes doses, accompagnés de boissons alcoolisées, ils produisent le même effet que la cocaïne et une mise entre parenthèses de la réalité semblable à celle occasionnée par une prise d'héroïne. Le danger est là. Non-respect de la posologie des médecins, trafic de médicaments en tout genre, pire encore, trafic de drogue. Les pharmacies de la mort existent bel et bien chez nous. Le Subutex, qui est un produit de substitution à l'héroïne a été totalement interdit. Pourtant, des jeunes s'en procurent en pharmacie. Attention, les dégâts! Les médecins déplorent la disponibilité du Subutex et du Rolypnol. Ils préviennent non seulement des risques de coma liés à une trop forte consommation mais aussi les dérives possibles vers la délinquance. «Le flumitrazépam, la molécule-mère, provoque un état d'ébriété semi-conscient, accompagné d'un sentiment d'invincibilité suivi d'amnésie». Cocktail détonant C'est l'effet Rambo, en quelque sorte , nous a expliqué un médecin généraliste. Nous avons vérifié cela auprès de quelques consommateurs. En effet, sous l'emprise de ces médicaments, certains usagers peuvent être conduits à voler, cambrioler ou agresser à leur insu. «Je ne sentais plus rien, je me sentais capable de tout et puis on se réveille en taule sans savoir pourquoi», explique Djamel. Ces produits, Djamel, il les a eus en pharmacie ! Et un membre du parquet affirme: «Chaque fois que l'on entend Rolypnol ou Subutex dans un dossier de violence, ça donne un cocktail détonant, impossible néanmoins de qualifier la part de responsabilité des pharmaciens car les délinquants refusent toujours de dévoiler le noms des pharmacies». Or, la loi est claire: sont punis d'une réclusion de dix à vingt ans et d'une amende de 50.000 à 100.000 DA, les pharmaciens qui ont illicitement produit, fabriqué, transformé, exporté, distribué des substances, médicaments, plantes, parties de plantes données de propriétés stupéfiantes et/ou psychotropes. Le Conseil national de l'ordre des pharmaciens a justement pour rôle de démasquer ces soi-disant pharmaciens «fraudeurs» et de les sanctionner, mais la tâche n'est pas facile. Le Dr Bendifallah Ahmed, président de l'Ordre des pharmaciens de la wilaya de Blida, nous fait part des manipulations et ruses démoniaques de certains pharmaciens. Falsifications de licences et de diplômes, exportation de médicaments contrefaits, vente de stupéfiants dans les arrière-boutiques, tout est permis afin de gagner le maximum d'argent et le plus vite possible. Seulement, des gens y laissent leur vie mais cela, ces «délinquants» médicaux ne s'en préoccupe guère. Prenons l'exemple de S. Salah, pharmacien à Boufarik, âgé de 46 ans. Il a réussi à falsifier plusieurs documents pour obtenir l'autorisation d'ouvrir trois autres pharmacies. Son épouse, licenciée en langue française, gérait l'une de ces pharmacies illicites de son époux et elle approvisionnait les jeunes de son quartier en «shit» et cannabis ainsi que les produis hallucinogènes. Un de ses clients a été arrêté et l'a donc dénoncée, ce qui a permis une perquisition de la police dans la pharmacie où l'on a trouvé cinq kilos de cannabis et de faux médicaments. Le pharmacien et son épouse ont été arrêtés et présentés devant le procureur de la République. Le pharmacien clame son innocence et accuse son épouse. Seulement, il a écopé d'une peine d'emprisonnement de 15 ans et 60.000 DA d'amende. Bien entendu, il a été radié et ne pourra plus exercer sa profession. «Nous sommes confrontés en permanence à ce genre d'individus sans scrupules qui essayent de nous manipuler. La plupart préfèrent ouvrir des pharmacies dans les régions les plus retirées du pays car difficiles à contrôler et parfois même à repérer. Pour cela, ils fournissent des faux certificats et peuvent donc utiliser ces pharmacies à des fins criminelles puisqu'ils tuent des gens en leur fournissant des produits dangereux et des drogues», nous explique le Dr Bendifellah. «Nous jouons un rôle de policiers, car il est de notre devoir de surveiller l'activité des pharmaciens de chaque daïra et de chaque wilaya, afin d'empêcher ce genre de comportement», ajoute-t-il. Cela dit, un autre phénomène vient s'ajouter: la contrefaçon. 1600 décès Outre l'aspect frauduleux et malhonnête, ce phénomène engendre des conséquences graves. L'inoculation de 40 000 doses de ces produits aurait provoqué 1600 décès il y a trois ans, un chiffre avancé par le ministère de la Santé. De même, un faux sirop aurait provoqué 34 décès l'année dernière. Il faut savoir que les médicaments, mais également d'autres produits de santé, tels que les dispositifs médicaux contrefaits sont susceptibles de causer un risque de santé publique lorsqu'ils ne répondent pas à la qualité attendue et peuvent ne pas avoir les effets thérapeutiques escomptés ou entraîner des effets nocifs inattendus. Aussi, la contrefaçon de médicaments constitue-t-elle un sujet de préoccupation majeur du ministère de la Santé. Ainsi, sur un plan national et en vue de prévenir les risques susceptibles de découler de cette contrefaçon, le Conseil national de déontologie médicale procède à des inspections portant sur l'importation, l'exploitation et la fabrication des médicaments. Les inspecteurs sont habilités à constater les infractions à la réglementation en vigueur sur procès-verbal transmis au procureur de la République compétent pour engager les poursuites pénales. Par ailleurs, les pharmaciens-inspecteurs de la santé publique, affectés au niveau des directions régionales des affaires sanitaires et sociales, sont chargés de contrôler la conformité de la distribution en gros des médicaments suivant la réglementation en vigueur. Un de ces inspecteurs nous explique le déroulement des contrôles: «Des inspections des établissements pharmaceutiques concernés sont effectuées au moyen, notamment, de prélèvements aléatoires d'échantillons de spécialités pharmaceutique, afin de vérifier la conformité de leur composition aux dossiers d'autorisation de mise sur le marché». En effet, outre les dispositions du code de la santé publique, ces établissements doivent également respecter les bonnes pratiques de distribution en gros des médicaments à usage humain. Les distributeurs doivent être vigilants à l'égard de la contrefaçon. En cas de contrefaçon avérée, le président de l'Ordre des pharmaciens, le professeur Abed peut prendre les mesures de police sanitaire nécessaires mentionnées aux articles du code de la santé publique, en vue de prévenir la distribution et l'utilisation des spécialités concernées. Enfin, des poursuites disciplinaires peuvent être engagées par l'Ordre des pharmaciens sur demande du président de l'Ordre des pharmaciens. Si un pharmacien est impliqué dans une affaire de contrefaçon, des actions en justice sont susceptibles d'être engagées par d'autres administrations dont notamment la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes. «Il est question d'effectuer des perquisitions dans les pharmacies. Nous effectuons des visites inopinées car nous ne pouvons tolérer de tels abus», nous explique le Dr Bessaha Madjid, président de la Commission de discipline. Après avoir analysé plusieurs dossiers au ministère, Dr Bessaha a souhaité un audit des services des pharmacie pour détecter les abus et les vols. La présence de psychotropes dans certaines pharmacies interpelle également le ministère de la Santé. Les pharmacies de la capitale et quelques-unes se trouvant dans le Sud sont ciblées. Cela semble porter ses fruits puisque cette semaine, quatre pharmaciens ont été arrêtés et condamnés à des peines d'emprisonnement de 8 à 12 ans. Notons bien qu'ils ne pourront en aucun cas exercer leur profession. Il n'est rien de dire que ces pharmaciens doivent être sévèrement punis car ce sont les comprimés qui grignotent aujourd'hui nos cités. «Dans les quartiers, le toxico souffre d'une image dévalorisée, les médicaments de même que la consommation intensive de «shit» permettent de se défoncer sans recourir à la seringue, qui est l'apanage du camé», nous explique M.Zaoui, directeur d'un centre pour toxicomanes. Une enquête menée par les autorités en mai 2005 auprès de 180 récidivistes auprès de la maison d'arrêt d'El Harrach, confirme le poids de ces médicaments. Les personnes sondées sont majoritairement jeunes, d'origine modeste, souvent sans ressources et pour la plupart de la capitale. Plus d'un tiers d'entre eux confessent qu'ils achetaient du Subutex et consommaient ces produits plus d'une fois par semaine avant leur première incarcération. En comparaison, les consommateurs de cocaïne et d'héroïne sont largement moins nombreux. Certaines pharmacies sont devenues des épiceries et cela constitue un réel danger. Il reste à faire un grand travail de prévention auprès de la population.