Il ne reste pas grand-chose de l'enthousiasme suscité par la signature du protocole d'accord global. Comme lorsqu'il s'agit de nouer le dialogue avec les pouvoirs publics, les archs de Kabylie vont se retrouver aujourd'hui encore une fois, dans la wilaya de Bouira pour décider de sa poursuite ou de sa rupture. C'est-là l'unique point qui sera mis à débat en plénière de l'interwilayas des archs, convoquée à la suite de l'impossible consensus sur la question de dialogue lors de conclave «d'urgence» tenu à Béjaïa au lendemain du discours du président de la République à Constantine. C'est d'ailleurs depuis ce jour que les relations de partenariat entre les deux parties ont cessé. Réagissant aux propos du premier magistrat tranchant sans ambiguïté le statut officiel de la langue amazighe, l'interwilayas des archs avait, à travers la délégation ayant mené jusqu'ici le dialogue avec le chef du gouvernement sur la mise en oeuvre de la plate-forme d'El Kseur, demandé des explications au chef de l'Etat sur les déclarations faites à Constantine signifiant de façon claire et catégorique qu'il n'aurait pas plus que ce qui a été donné pour tamazight, fermant ainsi définitivement la porte à une probable officialisation de tamazight. “Tamazight ne sera pas officielle”, avait dit le président de la République désavouant à l'occasion, l'espoir nourri par les archs et le chef du gouvernement quant à un engagement de l'Etat dans ce sens. L'élan pris depuis la signature du protocole d'accord global entre le chef du gouvernement et la délégation du mouvement citoyen, basé sur des engagements et autres promesses tacites d'une officialisation de la langue est ainsi balayé d'un revers de la main. Les animateurs des archs, en réaffirmant leur détermination à ne pas «céder sur cette revendication phare portée par plusieurs générations», dans la déclaration, annonçaient déjà la couleur laissant entendre qu'ils se réservent le droit de rompre le dialogue d'autant que les propos de Bouteflika étaient qualifiés de «provocateurs et de semeurs de la division et de la haine». Partant, c'est tout le processus de dialogue engagé de manière plus prometteuse, depuis janvier 2005, avec ses ruptures et ses reprises, qui est en danger de rupture, avec toutes les conséquences que cela peut induire aussi bien sur la sérénité retrouvée et tout l'espoir né pour des lendemains meilleurs. Ce qui commencera à se vérifier le jour du scrutin portant référendum et la charte pour la paix qui a vu le retour des troubles en Kabylie même si ceux-ci étaient de moindre importance comparés à ce qu'avait vécu la Kabylie par le passé. Le risque est toujours présent car un autre scrutin pointe à l'horizon. Il s'agit des partielles du 24 novembre. La rupture du dialogue suppose le retour à la case départ et donc au rejet de toute échéance électorale. Les archs retrouveraient forcément la rue, comme l'avait déclaré Belaïd Abrika: «S'il le faut, nous retournerons dans la rue». Mais ont-ils les moyens? Le mouvement des archs, qui a repris langue avec le gouvernement au début de l'année en cours, au prix de décantations douloureuses en son sein et d'oppositions fermes de nombreux acteurs politiques, notamment ceux implantés en Kabylie, se retrouve face à un dilemme: celui de couper court au dialogue avec le risque que cela induirait sur la région ou poursuivre dans une ambiance qui n'est plus des plus confortables car aggravée par une autre décantation et des oppositions encore plus farouches. En fait, le mouvement citoyen n'aura d'autre alternative que de couper les ponts avec le gouvernement au cas où le chef de l'Etat ne revenait pas sur ses déclarations. Une possibilité utopique si l'on en juge par le ton utilisé par Bouteflika à Constantine. Mais la voie médiane existe comme le montre la Cicb. Il n'y aura ni rupture ni poursuite. Il s'agira d'une suspension temporaire sur fond de remise de mandat de la délégation des 20, en attendant que les pouvoirs publics évoluent sur la question du statut de tamazight. Ce qui reste possible si l'on considère le passé récent mais aussi la conjoncture de l'intervention du président. Du «jamais» n'est-il pas passé à un amendement de la Constitution pour introduire le statut national pour tamazight? La rupture ou la poursuite du dialogue n'ont plus de chance pour l'instant, c'est pourquoi le choix du juste milieu qui non seulement coupera l'herbe sous les pieds des ennemis du mouvement, mais laissera aussi toute la chance aux pour, parlers de reprendre à tout moment. Il y va du maintien de la stabilité retrouvée dans la région. Il faut noter aussi comme effet immédiat, la consolidation du camp des non-dialoguistes, des partis politiques (le RCD et le FFS), dont on connaît l'hostilité envers le processus de dialogue, et enfin une possible relance de la crispation politique dans la région. Pour toutes ces raisons, les délégués doivent être à la hauteur de la responsabilité.