Quand les politiques s'engagent «La relance économique en Algérie est une réalité. Il est vrai que les réformes ont tardé à cause de la situation sécuritaire instable qui a caractérisé le pays la dernière décennie, mais les choses ont beaucoup changé avec l'arrivée du président Bouteflika à la tête du pays.» Ces propos ont été tenus par M. Semari, député MSP et président de la Fédération parlementaire pour l'amitié entre le Japon et l'Algérie, à l'occasion de la réunion du Comité économique nippon-algérien tenu à Tokyo. L'objectif de Semari, en visite de travail dans ce pays, étant de convaincre ses interlocuteurs, c'est-à-dire le Keidaren (l'Organisation des hommes d'affaires japonais) à briser le mur du doute qui bloque le partenariat économique entre les pays. Mais les efforts du représentant algérien, loin d'être puérils, n'ont pas réussi néanmoins à aplanir toutes les zones d'ombre chez les Japonais. Réticence, doute et incompréhension ont marqué les interventions des hommes d'affaires ayant assisté à la réunion. Ces derniers hésitent encore à investir un marché « à risque ». Et le risque vient, selon eux, justement, de la situation sécuritaire dans le pays. «Votre pays nous intéresse à plus d' un titre mais, il se trouve que les sites de projets se situent dans la majorité des cas dans les zones isolées où la sécurité n'est pas tout à fait maîtrisée», précise le représentant de Kajima, lequel a demandé des éclaircissements dans ce sens à Semari. Ce dernier revient à la charge pour affirmer que les «Japonais ne connaissent de l'Algérie que ce qui leur parvient de la presse occidentale qui est loin de refléter la réalité du terrain». Il ajoute: «La paix a regagné le pays grâce, notamment à la loi sur la concorde civile. Une stabilité qui sera renforcée avec la Charte pour la réconciliation nationale.» Le président du Comité économique M.Shigehisa, plus diplomatique, conforte cette position, en soulignant la stabilité politique du pays. Ce dernier s'est montré curieux aux centres d'intérêt des américains et de l'Union européenne en Algérie. «Quels sont les secteurs qui intéressent ces pays», s'est-il adressé à la partie algérienne? Semari rétorque: «Tous les secteurs», rappelant, par la même, que «l´Algérie peut être un pont très intéressant pour les produits japonais désirant pénétrer le marché européen». Il met en exergue le fait que la concurrence sur le marché local peut être très rude en temps de paix, d'autant plus que l'Algérie a lancé un vaste chantier avec le plan de soutien à la relance économique dont le budget est estimé à 55 milliards de dollars. «Les Algériens sont intéressés par l'expérience japonaise dans les secteurs des travaux publics, de l'hydraulique, mais aussi de l'automobile», appuyé dans ce sens par l'ambassadeur de l'Algérie au pays du soleil levant, qui a brossé un tableau général sur les «performances de l'économie nationale qui a enregistré un taux de croissance de 5,2%, une baisse du taux de chômage à 27%, un recul de la dette extérieur et une réserve de change qui a atteint un stade record, l'appui aux PME». Des arguments loins de convaincre les japonais qui reprochent à l'économie algérienne d'être totalement dépendante de la rente pétrolière. Insinuant, par là même, que toutes ses performances ne sont que la conséquence logique des hausses spectaculaires du prix du baril. Une vision loin d'être partagée par le représentant officiel de l'Agérie. «Il serait plus juste de rappeler que l'Algérie a augmenté ses capacités de production en hydrocarbures, réduit les dépenses dues à la gestion de la situation sécuritaire et établit une transparence totale dans la gestion de ses affaires économiques.» L'ombre du terrorisme En dehors de cette rencontre très officielle, marquée néanmoins par une franchise qui rompt avec le ton diplomatique, les principaux groupes économiques que nous avons pu rencontrer au Japon ont affiché une certaine prudence vis-à-vis de la situation en Algérie, préférant camper pour le moment sur leur position d'observateurs. C'est le cas de la firme automobile Mazda. Rencontré au niveau de l'usine qui se trouve à Hiroshima, M.Hiroki Choisi, le premier responsable du service des achats dans le département Moyen-orient et Afrique, tout en exprimant le souhait de la firme d'améliorer son image de marque pour atteindre un volume de ventes de 3000 véhicules par an contre les 1000 vendus actuellement, a écarté, néanmoins, l'éventualité de créer une usine en Algérie. «Votre pays n'est pas dans la liste des candidats, à cause de la situation sécuritaire. Nous avons eu déjà une mauvaise expérience en Colombie», nous a-t-il précisé. Par ailleurs, économiquement parlant, investir en Algérie serait prendre un risque, parce que le marché est inondé par les marques asiatiques. «Nous savons que ce n'est pas sur le volet des prix que nous allons gagner mais bien sur le volet technologique». Même si on reconnaît que le marché offre de belles opportunités notamment avec la hausse du pouvoir d'achat, les Japonais préfèrent réfléchir, observer la situation et bien étudier les risques avant de faire le moindre pas. «L'échec du projet Fiat» consolide cette vision. De sa part, le groupe Itochu, présent en Algérie depuis 1964, et qui active principalement dans le secteur des hydrocarbures en partenariat avec Sonatrach, souhaiterait investir dans d'autres secteurs, à l'image des travaux publics, l'habitat, l'industrie légère, la technologie, et l'automobile. Nous apprenons d'ailleurs que la visite effectuée au courant du mois d'avril dernier d'une délégation du groupe, dont le chiffre d'affaires en Algérie avoisine les 500 millions de dollars, a permis de lever quelques équivoques. Mais durant l'entrevue qu'on a eue avec les directeurs des divisons du gaz naturel, au niveau de la direction du groupe à Tokyo, ces derniers ont laissé apparaître quelques réserves sur l'environnement de l'investissement en Algérie, à commencer par leur partenariat avec Sonatrach. Masahiro Imai, manager général de la division Gaz et du navire à Itochu, s'interroge sur les raisons qui poussent Sonatrach «a nous exiger de travailler dans l'investissement en aval». «Je tiens à préciser que l'investissement en amont, dans le secteur des hydrocarbures en Algérie est libéré, très bien géré par le groupe national, mais c'est au niveau de l'aval que le problème se pose. Les entreprises japonaises n‘ont pas d'expérience dans ce domaine, ni en Algérie ni ailleurs». Selon notre interlocuteur, le groupe est pénalisé parce que Sonatrach leur demande d'acquérir de nouveaux marchés. «Il faut que Sonatrach comprenne qu'il y a une rude compétitivité dans ce domaine. Sans oublier que nous sommes loin de ce cette région.» Les discussions entre les deux parties (algérienne et japonaise) viennent de reprendre. Et afin de pallier ces difficultés, Masahiro Imai pense que «des compromis de part et d'autre sont inéluctables». Tout en qualifiant de favorable les nouvelles orientations économiques du gouvernement, Toru Numora, le directeur exécutif d'Itochu corporation, estime que le véritable changement «doit s'effectuer au niveau des mentalités». L'entrée en vigueur de l'accord d'association entre l'Algérie et l'Union européenne et l'adhésion à l'OMC est différemment apprécié ici. En théorie la situation sera meilleure, dira M.Numora, «sachant que le comportement des sociétés algériennes sera uniforme avec les normes pratiquées à l'étranger, cela diminuerait le risque commercial». Par ailleurs le risque de voir le marché algérien se renfermer dans ce bloc commercial effraie les japonais. Ici on refuse de faire la comparaison avec les investissements américains et européens. «On ne pense pas qu' on est en retard par rapport à ces pays», défend M.Numora. Pour le cas des USA, il estime que leur forte présence en Algérie obéit à leur stratégie d'énergie. «Les Américains sont en phase de recherche d'une source stable de gaz naturel. L'Algérie est considérée comme un site éventuel vu ses richesses naturelles.» Sur un autre sujet, M.Masahiro Imai s'interroge sur les motifs qui amènent le gouvernement algérien a opter pour les investissements étrangers directs dans des secteurs comme l'hydraulique, les travaux publics, alors que le pays se porte financièrement bien. «Je pense que le partenariat stratégique doit être exclusivement consacré aux secteurs stratégiques comme les hydrocarbures.» Masahiro s'est attardé sur la bureaucratie en Algérie et la non-adaptation des lois aux nouvelles orientations économiques du pays. Quand les politiques s'engagent Du côté des officiels, on évoque à Tokyo des efforts pour relancer le partenariat entre les deux pays. Rencontré au siège du ministère des Affaires étrangères M.Yoshihiko Mori, le chargé du dossier algérien estime que la visite du président Bouteflika au Japon en 2004 a eu un effet très positif sur les opérateurs japonais. «L'Algérie a perdu dix ans à cause du terrorisme. Les relations bilatérales entre les deux pays ont été pratiquement suspendues pour des raisons qui nous dépassent.» Que fait le Japon pour se repositionner comme un partenaire privilégié de l'Algérie? Yoshihiko Mori estime que la «reconstruction doit se faire sur le plan politique d'abord avec la multiplication des visites officielles». Sur le plan économique, l'application de l'accord de coopération technique signé à l'occasion de la visite du président Bouteflika, «permettra d'augmenter le volume des échanges» tout en reconnaissant que le secteur des hydrocarbures demeure le volet essentiel de cette coopération. Notre interlocuteur considère que les entreprises japonaises «ignorent la situation en Algérie». Quel rôle pourra jouer le gouvernement japonais pour aplanir les doutes? Apparemment sa marge de manoeuvre reste très réduite, à en croire notre interlocuteur. «Il faut savoir que le gouvernement ne peut rien imposer aux entreprises. On peut les informer sur l'environnement global et les opportunités d'investissement, mais c'est à elles seules que revient la décision finale». Il ajoute que «d'une manière générale, les entreprises japonaises sont prudentes mais une fois la machine lancée et la confiance rétablie, elles restent fidèles», citant l'exemple d'Itochu qui n'a pas quitté l'Algérie durant la décennie noire. Notons aussi qu'après des années d'absence, l'Agence japonaise de coopération internationale Jica a repris ses activités en Algérie, en désignant un représentant à Alger. Pour M.Kitsuki Noritaka, responsable du département moyen-orient, la coopération la protection de l'environnement, les mesures préventives contre les sinistres et catastrophes naturelles, ainsi que le développement de capacité pour les ressources humaines, restent pour le moment, les principaux axes du partenariat. En raison de la situation sécuritaire, la coopération technique se limite actuellement dans deux wilayas: Alger et Oran. Selon M.Kitsuki, «si l'ambassade du Japon en Algérie réduit les mesures de sécurité, la Jica va renforcer sa présence dans votre pays». Il faut savoir que seulement 50 millions de yens ont été débloqués par la Jica dans le cadre de l'aide publique au développement durant la dernière décennie contre 178 millions pour l'année 2004-2005. En fait, ici l'on estime que les Japonais sont plus prêts à renforcer les relations économiques bilatérales qu'il y a un an. Il ont demandé aux Algériens de définir les priorités.