«Lotfi est INNOCENT !», martèle, dans mon bureau de la Maison de la presse à Kouba, cette dame quinquagénaire, dont la mise vestimentaire moderne, la blondeur de ses cheveux et jusqu'à son maquillage soulignent encore le reste d'une beauté non éteinte. Elle vient de débarquer tout droit de Londres où elle était allée s'enquérir des dernières nouvelles de son fils, que le hasard et le destin ont projeté aux premières loges de l'actualité. Son fils s'appelle Lotfi Raïssi. Il est pilote-instructeur. Mais il a le malheur de figurer sur la liste noire des suspects ayant perpétré les attentats du 11 septembre. Son chemin aurait croisé, un jour, celui de quelques Arabes vivant, comme lui, dans cette mégalopole britannique. Londres est une capitale arabe. C'est la ville-refuge de tous les persécutés. Et après? Peut-être, a-t-il même fréquenté les mêmes «pubs», ces illustres bars londoniens, pour déguster une chope de bière, et prié dans la même mosquée, sur le même tapis, et écouté les mêmes sermons de ces mornes vendredis gris du même imam qui officie dans l'un des quartiers crasseux qu'affectionne cette engeance arabo-islamique. Peut-être... Pourquoi le rêve de Lotfi Raïssi ne ressemblerait-il pas à celui de Saint-Exupéry? Sa cabine de pilotage n'est-elle pas son jardin secret? Sa tour d'ivoire? La maman et le père engloutiront toutes leurs économies pour donner à ce fils la chance extraordinaire de réussir dans ses études. De réussir. Et pourquoi pas, s'il le fallait, planer. Son rêve de pilote de ligne? Ce sera son bâton de maréchal. Quitte alors à faire un trou dans l'escarcelle, Lotfi mérite bien çà ! A Londres, il écoule des jours paisibles alors qu'il a besoin de frissons pour conquérir de nouveaux horizons. Malgré les contraintes d'un métier de plus en plus dur à supporter à cause de sa discipline de spartiate et de son exigence professionnelle, il oublie vite Alger. Et cette jeunesse de Bachedjarah, de Kouba, de Bab El-Oued, qui livre par fournées, chaque jour, les hittistes promus à un bel avenir de terroriste! Il veut effacer, gommer ces mauvais souvenirs qui lui brûlent la cervelle. Sonia, la Française, est là. Avec elle, il a une histoire étrange. C'est comme dans Love Story. Oui, Sonia est superbement belle! Comme la vie qu'il espérait déjà croquer à pleines dents. Attachante aussi, cette Parisienne, qui s'entend à merveille avec sa belle-mère ! Dans l'album photos familial, ne retrouve-t-on pas cette étincelle de bonheur, à l'encens oriental, qui rythme la vie de ce couple franco-algérien? Sur cette photo, Lotfi est rayonnant dans son superbe uniforme d'aviateur. Et elle, vêtue à la dernière mode exposée dans les vitrines de la célèbre avenue Montaigne, à Paris, est un monument de beauté. Sacré Lotfi! Gâté par l'aubaine, comme toujours. Tout fonctionne à merveille dans ce couple, sorti tout droit d'un roman de Naguib Mahfouz, comme on en voit dans ces feuilletons égyptiens à l'eau de rose. Le destin, toujours cet étrange metteur en scène, faussera subitement compagnie à Lotfi. Il le laisse «crasher». Le ciel s'écroule sur la tête du pilote, le jour où de maléfiques djinns s'emparent d'un, puis de deux, et, enfin, de trois appareils Boeing pour perpétrer, au nom de l'Islam, l'attentat du millénaire. Les pilotes-kamikazes étaient Arabes. Ils venaient d'Arabie Saoudite, des Emirats, d'Egypte et du Liban. Chacun d'entre eux avait déjà subi la tentation morbide de jouer au martyr en trucidant d'autres coreligionnaires. Ce 11 septembre, une nouvelle chasse à l'Arabe est déclarée ! C'est l'hallali. Sauve qui peut. L'origine, le faciès, la religion et l'habit sont désormais les signes distinctifs pour débusquer, dans les villes américaines et britanniques surtout, ces «pilotes... endormis» des réseaux Ben Laden. Lotfi avait été engagé comme pilote-instructeur. Aux States, l'American Dream le fascine. Des dizaines d'aspirants-pilotes débarquent avec l'espoir de décrocher un diplôme de pilote de ligne. Un vrai viatique. Les écoles de formation exploitent à merveille ce créneau, qui prospère avec la croissance du chiffre d'affaires de la compagnie Boeing. Lotfi est instructeur. Et parmi les premiers élèves, on lui a déjà affecté des Arabes. Ce qui est normal, car c'est une exigence de communication. C'est la guigne! Combien de terroristes, Lotfi a-t-il formés? La question reste ouverte. Et la justice britannique est muette. La CIA et le FBI recueillent tous les noms d'aviateurs arabes auprès de leurs services d'immigration. A Paris, la DST et la DGSE sont à l'oeuvre. A leur tour, ils signalent aux Américains le nom de Raïssi. Les Anglais enquêtent, arrêtent puis coffrent Lotfi. Dès le lendemain, il va être jeté en pâture aux médias friands rien qu'à l'idée de casser encore de l'Arabe. Sa mère, que je ne connais pas, est venue me rendre visite «pour que vous m'aidiez, me dit-elle, à transmettre un message à Bouteflika. Pourquoi ne cherche-t-il pas à s'intéresser au sort d'un Algérien emprisonné et contre lequel aucune charge n'a été retenue à ce jour? S'il est le Président de tous les Algériens, il devrait s'intéresser au cas de mon fils. Rien ne peut expliquer l'indifférence des autorités algériennes. Le dossier de Lotfi est vide. Son avocat londonien l'a démontré. Et le juge anglais n'a encore retenu aucune preuve de son implication directe ou indirecte dans ces attentats. Mon fils est privé de sa liberté en violation même du droit britannique. Sa période de garde à vue est largement dépassée. Sa demande de mise en liberté sous caution a été rejetée sans motif valable. Mon fils est innocent ! Si la justice britannique est dans l'incapacité de produire des preuves formelles contre lui, qu'elle le rende à sa famille! Pourquoi les services consulaires algériens à Londres ne suivent-ils pas ce dossier et qu'attendent-ils pour exiger, comme le stipulent les accords entre nos deux pays, des autorités judiciaires anglaises qu'elles leur fournissent son dossier? L'une des missions d'un Président de la République n'est-elle pas aussi de défendre les intérêts de ses concitoyens en Algérie et à l'étranger? Que fait donc Bouteflika?» Terroriste ou pas terroriste, nous voulons tout savoir sur le cas de Lotfi Raïssi. Cet Algérien peut, à tout moment, être extradé aux USA pour subir une parodie de justice. Il pourrait être le bouc émissaire parfait à envoyer sur la chaise électrique. Puisque nous savons tous enfin que 50% des suspects arrêtés sont innocents. C'est la presse occidentale qui l'affirme