La présente édition du Sila a donné l'occasion au discours politique de vanter le rôle culturel et social d'un événement que certains esprits chagrins ont tendance à vite ensevelir sous le poids des mots et des maux... De nombreuses insuffisances sont décelées certes, mais force est de reconnaître que cette manifestation semble s'inscrire dans la durée. S'il souffre de l'ire de certains éditeurs, le Sila n'en reste pas moins une victime collatérale de l'absence d'une stratégie culturelle dans notre pays. Le livre ne renaît de l'indifférence des commis de l'idéologie dominante que grâce à quelques manifestations de circonstance intimement liées, on s'en doute, à des célébrations nationales ou à des engagements politiques régionaux. Pourtant, à en croire certains discours sibyllins, le livre affirme sa présence et son utilité d'une manière qui n'est pas toujours visible, mais que le Salon international du livre dévoile chaque année. De tels propos, nous les devons au ministre de la Culture qui souligne que ce moyen d'expression «contribue à déchiffrer le passé et, notamment, les épisodes de résistance de notre peuple à travers les siècles. Une aide jugée insignifiante De même, il met en valeur notre patrimoine matériel et immatériel et ses nombreux trésors». La même source n'est pas loin de penser, dans le même ordre d'idées, que le livre s'attache aussi aux divers domaines de connaissance scientifique ainsi qu'aux champs merveilleux de l'expression littéraire et artistique: «Contre les dérives, il dresse toute la sagesse de notre religion en soulignant ses véritables fondements. D'une manière générale, il assure sa présence bénéfique, portée par des auteurs et des éditeurs qui s'efforcent d'enrichir sans cesse le champ intellectuel et spirituel et soutenue par des lecteurs et lectrices qui viennent y puiser des ressources précieuses pour leur métier et leur vie.» Pour Hamoudi Messaoudi, le programme du Sila 2018 a tenu compte de toutes les dimensions et aspects de l'identité nationale en ouvrant de larges perspectives sur les cultures du monde: «Que cette 23e édition soit encore une fête dédiée au livre, au savoir et à l'imagination et une source de motivation et de fierté dans une Algérie qui sait affronter les difficultés et avancer en puisant dans ses valeurs ancestrales et sa forte aspiration à la modernité.» En l'absence d'une stratégie culturelle efficiente, force est de constater que l'intérêt accordé aux préoccupations identitaires et à l'histographie nationale est à tout le moins conjoncturel. Si pour les appareils idéologiques d'Etat il relève d'un timing intimement lié à des considérations politiciennes, pour de nombreux éditeurs, et non des moindres, il constitue un moyen, comme un autre, d'accéder à la manne financière de l'Etat. Comme pour le cinéma d'ailleurs où les figures emblématiques du Mouvement national ne sont portées à l'écran que parce qu'elles génèrent des subventions étatiques particulièrement lourdes. Ce qui explique outre mesure le recul enregistré, cette année par l'édition nationale et le courroux de nombreux professionnels. Les frais d'impression ainsi que les dépenses liées à la lecture des manuscrits, à leur correction et au graphisme sont parmi les charges supportées par les éditeurs de livres, ce qui est suffisant à leurs yeux pour réclamer des aides à la promotion du livre. «Si l'on prend en compte le pourcentage du prix de vente global du livre qui revient aux auteurs, ou encore celui englouti par les dépenses d'impression et d'avant impression, les éditeurs s'en sortent avec une marge qui oscille entre 20% et 25%», a indiqué à l'APS, le responsable de Hibr Editions, Smaïl M'hand, rencontré lors de la 21eme édition du Sila. Il faut ajouter 23% du coût en frais de distribution, ce qui donne un total de 52% du prix de vente sans compter les impôts, a-t-il souligné. A l'image de nombreux collègues de la corporation Karim Chikh, d'Apic Editions, n'est pas loin de penser qu'avec toutes les dépenses, leurs marges sont en deçà de 20%. Tous ces professionnels regrettent que les aides de l'Etat soient limitées à quelques grandes manifestations, comme l'évènement «Constantine, capitale de la culture arabe», ce qu'ils jugent «insuffisant pour promouvoir le livre local». Si les raisons de la colère sont connues, faut-il pour autant n'attendre que les seuls subsides de l'Etat? Les raisons de la colère Le fondu enchaîné au roman de John Steinbeck, porté à l'écran par John Ford, relève plus d'un exercice de style et d'un péché mignon cinéphilique que d'une quelconque comparaison entre l'Oklahoma et Alger. A plus forte raison lorsque nous avons la certitude que l'Algérie d'aujourd'hui n'a rien de commun avec une Amérique d'alors en proie à la grande dépression, à la misère et à l'oppression. Nous avons nos problèmes, il est vrai, qui relèvent plus d'un manque d'imagination endémique que de la fatalité. Victime d'un enfermement castrateur, l'édition nationale donne l'impression de tourner en rond, faute d'alternative certes, mais aussi de projet de société qui ne peut être mené qu'à l'unisson des voix étatique et privée. Les exemples de l'Enag et de l'Anep, ceux des éditions Casbah et Chihab démontrent à l'évidence que tout est possible pour peu que les uns et les autres mettent au pouvoir l'intelligence et le professionnalisme. En la matière, l'exemple de la prise en charge du manuel scolaire est assez édifiant pour avoir démontré que des éditeurs privés peuvent être à la hauteur d'un véritable défi. Il faut détaxer le livre produit en Algérie En cela, le sentiment de Meriem Merdaci, responsable des éditions du Champ libre, est assez édifiant, voire rassurant. Elle estime que si «les éditeurs sont actuellement en difficulté» mais, cette situation est loin d'être une fatalité pour autant: «La quête de réponses adaptées existe.» Une réflexion idoine est à même de permettre aux véritables acteurs «de préserver leur métier à la faveur du jaillissement de conditions favorables à la mise en place et au développement de leur raison sociale aux côtés des libraires».L'enjeu est de taille. Des solutions doivent être trouvées dans un pays où l'on se plaint que les Algériens ne liraient plus et où le livre est particulièrement cher. Un noeud gordien que voici que la consultante Mouna Salmi définit en ces termes pour le compte du quotidien Liberté: «Le constat est terrible, le livre produit en Algérie est plus cher que le livre importé. La raison? Une fiscalité désavantageuse. «Les droits de douanes sur l'importation du papier, auxquels il faut ajouter la TVA. Nous sommes souvent obligés d'importer du papier pour fabriquer nos livres.» C'est vrai que l'Etat déploie des efforts pour rétablir la lecture dans ses droits: «C'est une revendication principale des libraires et des lecteurs pour qui le livre reste hors de portée», avait déclaré Khalida Toumi, alors ministre de la Culture, pour justifier la décision. Mais de telles mesures, si généreuses soient-elles, relèvent de l'approximation, estiment plusieurs éditeurs parmi lesquels Azzedine Guerfi des éditions Chihab: «Mais, le gouvernement a «oublié» de baisser les droits de douanes sur la matière première pour la fabrication des livres. Insuffisant pour promouvoir le livre local.» La matière première, le mot est lâché. Une autre affaire qui fait couler beaucoup d'encre. «Il faut des dérogations pour aider les éditeurs et les imprimeurs à avoir plus de facilité dans l'achat d'équipements et de matières premières. Il faut détaxer le livre produit en Algérie, pas le livre importé», a plaidé Fayçal Houma des éditions éponymes. En panne d'imagination, l'Algérie se tournerait-elle vers la Chine pour relancer son édition nationale? Mériem Merdaci des Editions du Champ libre a insisté sur l'importance d'une réflexion et du principe avéré cher à Mao Zedong, à savoir «compter sur ses propres force d'abord». Cette réflexion aurait-elle pour premier cadre la présente session du Salon international du livre d'Alger où un Forum des éditeurs algériens et chinois est à même de susciter des partenariats mutuellement avantageux? C'est là une voie que Azzedine Mihoubi, l'actuel locataire du ministère de la Culture, encourage vivement: «Le développement de l'édition nationale dépend aussi des ouvertures internationales en matière de cession de droits, de coédition, de traduction et de distribution. Et quand l'amitié sous-tend de telles perspectives, elles deviennent plus aisées.» Pays de vieille civilisation qui a donné de grands noms à l'humanité, la Chine est aussi à l'origine de l'invention de l'imprimerie à la fin du premier millénaire, souligne la même source. Pour Azzedine Mihoubi «l'édition chinoise occupe, à l'image d'autres secteurs, la première place mondiale tout en s'internationalisant de plus en plus». Dans le cas qui nous concerne, il faut revenir à la pensée de Mao Zedong et soutenir que la culture se doit d'être «sur le font idéologique le reflet de la situation politique et économique d'un pays»... [email protected]