Les émeutiers auront eu ce qu'ils voulaient: attirer l'attention sur leur situation. Depuis une semaine, la France vit, sur tous ses écrans de télévision, la violence urbaine, qu'elle fait semblant de découvrir. Comme pour les événements des attentats de 1995 et liés à l'islamisme, les actes de violence sont venus de la périphérie pour toucher le centre. Comme pour Alger en 1982 et 1992, la violence armée est venue de la périphérie (El Achour et Baraki) pour toucher le centre, la capitale, synonyme d'opulence méprisante et hautaine. A Alger, un planimètre publicitaire lumineux affiché par «polygone» mentionnait: «L'essentiel est toujours au centre.» Tout est dit dans cette publicité commerciale mensongère qui chante les mérites des centres urbains, tout en crachant sur la périphérie. La montée de la tension de la périphérie et sa soif de se venger du centre se résume dans ce mot : exclusion. Lorsque le GIA a décidé le tyrannicide, en 1992, ce sont des colonnes de combattants venus de Baraki, les Eucalyptus, Bougara, Larbaâ, Meftah, Khemis El Khechna, Boufarik, Attatba et Mahelma qui sont lancés à l'assaut de la citadelle. En 1992, l'occasion se présentait pour ces jeunes exclus de se venger du centre de l'Algérie, du coeur du pouvoir politique et administratif, bien que, si l'on considère bien les choses, c'est le centre qui raisonne, qui planifie, qui met en place les mécanismes de la violence, qui pense et théorise ces actions. Mais l'exécution est du domaine de la périphérie. Située loin du centre, donc loin des suspicions, elle a toute latitude pour tailler en pièces l'arrogance putride du centre. La violence est une, pourtant, et même si elle peut prendre des accents différents, elle reste soumise aux mêmes émotions, aux mêmes mécanismes de déclenchement. Elle peut s'habiller d'un emballage islamiste, social, syndical, politique, mais reste toujours déterminée par les mêmes craintes, les mêmes peurs, les mêmes exclusions et la même colère. On peut prendre en ligne de compte, pour ce qui se passe en France, un peu de tous les registres politiques, sociaux, économiques, religieux (islamistes?), revendicatifs ou même vindicatifs, cela passe aussi - et surtout - par le fort sentiment d'exclusion. Sarkozy et la DST attendaient le Gspc, mais ce sont les jeunes exclus de banlieue qui ont surgi. Comme quoi, la colère est imprévisible. La contestation islamiste n'est plus en vogue : le contexte international ne lui est plus favorable, notamment dans une République laïque qui cultive le discours fédérateur, multiculturel et agnostique, serions-nous tentés de dire. La révolte de la «racaille» est dangereuse dans ses actes. Tout aussi dangereuse d'ailleurs que le mépris qui lui fait face. Regardez bien encore les images des journaux télévisés de 20 heures: voitures qui flambent, jeunes encagoulés, policiers qui courent, arrestations, scènes de rues et de combat à la limite de l'insurrection. Mais n'ayez crainte: la tension va baisser et disparaître aussi brusquement qu'elle a pris feu. Les émeutiers auront eu ce qu'ils voulaient: leurs actions dans le journal de 20 heures et leurs photos à la Une des journaux. Ils auront réussi à attirer l'attention sur eux, sans l'aide des politiques et sans l'appui des officiels. Quelle belle revanche... Dans quelques jours, l'intérêt sera détourné de Clichy-sous-Bois, Montfermeil et Aulnay-sous-Bois, parce qu'il n'y aura plus de violence dans ces quartiers. La banlieue retrouvera «le calme et la quiétude» des jours précédents. Et retrouvera aussi ses problèmes et sa solitude. La page sera tournée et rien ne sera réglé. Jusqu'à la prochaine émeute. Car la violence épisodique des exclus, on peut s'en accommoder aisément... A travers la violence urbaine qui a secoué la France, il y a à retenir l'échec de la politique d'intégration et du modèle français. Bien avant sa mort, au bout d'une course-poursuite avec la Gendarmerie nationale, Khaled Kelkal, petit voyou de quartier, parlait à un journaliste allemand du modèle français... d'exclusion. A l'époque, personne ne connaissait ce petit taulard de périph, mais la France le connaîtra de la manière la plus sanglante, trois années plus tard. Urbaniste de métier et philosophe de renom, Paul Vinilio insistait souvent dans ses écrits sur le fait de la violence urbaine, les problèmes de la périphérie et les exclusions des centres urbains. Peu connu du grand public, Vinilio est plus que jamais d'actualité. La peur rend violent. C'est vérifié depuis la nuit des temps, et la France n'a pas à refaire le monde, mais à repenser son modèle. Dans Violences urbaines, violences sociales, Stéphane Beaux et Michel Pialoux décryptaient le mal des banlieues, la ségrégation spatiale, les quartiers difficiles, le repli identitaire, la montée du communautarisme, des «nouvelles classes dangereuses» et de la condition ouvrière. Dans le livre, il y a une partie intéressante qui traite de cette forme de violence qu'on appelle «rage». Les jeunes exclus sont «enragés». Les auteurs mettent en garde contre le discours sécuritaire sur les «sauvageons» et les «irrécupérables», accréditant l'idée qu'il suffit de mater et réprimer, et préconisent qu'il faut «assumer de mener jusqu'au bout une analyse sociologique des comportements déviants de la jeunesse populaire et refuser que la lutte contre l'insécurité soit le seul horizon de l'action sociale». Ce n'est donc certainement pas le péril Gspc qui est prioritaire, mais bien le péril jeune des exclus, des «enragés» et des marginaux du modèle français. Mais les enjeux liés à cette violence seront très vite récupérés à leur compte par «les présidentiables de 2007»...