Elle s'appelle Imen Bakhouche. A 28 ans, elle est P-DG de Netconcept, une entreprise spécialisée dans la réalisation de sites web qui emploie quelque 25 jeunes entre ingénieurs et techniciens en informatique. Imen fait partie d'une génération de jeunes sur lesquels l'Etat tunisien mise beaucoup pour ouvrir le pays à la modernité. Un détail la distingue des centaines de ses collègues qui dirigent des boîtes versées dans les technologies de l'information et de la communication (TIC) en Tunisie. Imen est algérienne. Elle évoque dans cet entretien ses premiers pas dans le monde du numérique. L'Expression: A 28 ans, vous êtes à la tête d'une entreprise spécialisée dans les technologies de l'information et la communication. Le parcours a-t-il était difficile? Imène Bakhouche: Je me suis retrouvée tout à fait par hasard dans la filière informatique de gestion après l'obtention de mon baccalauréat. Je suis en fait algérienne. Je suis née et j'ai grandi dans la région de Tébessa. Mon bac est d'ailleurs algérien. Je suis venue en Tunisie pour poursuivre mes études universitaires. Et c'est à l'université que j'ai eu cet engouement pour les nouvelles technologies. A la fin du cycle de maîtrise, j'ai travaillé pour une banque internationale, la City Bank. Mon ambition ne s'arrêtait pas à ce niveau seulement. J'ai donc entamé des études de master à New-York, aux Etats-Unis, où je suis restée trois années. Cette formation m'a permis de me perfectionner dans le domaine des affaires. Mon séjour new-yorkais m'a beaucoup appris. Etudiante, j'étais tout ouïe de ce qui m'entourait. Il faut dire que la ville de New-York est très dynamique dans le domaine des nouvelles technologies, comme dans celui des affaires en général. Le déclic des affaires m'est venu en fin de cycle de master. Il faut savoir qu'aux Etats-Unis, l'esprit de groupe est omniprésent au sein des universités. Et c'est ainsi qu'à l'occasion d'un projet qu'on devait remettre, mes camarades et moi, l'idée de rentabiliser notre travail en se lançant dans l'entreprenariat est née. Cela s'est d'abord concrétisé à travers un concours organisé par notre école auquel nous avons participé. Nous n'avons pas décroché un prix, mais cette expérience a édifié et renforcé notre ambition de lancer notre propre boîte. Il est utile de signaler que nous avions bénéficié d'un encadrement de qualité, lequel était composé d'anciens élèves volontaires de l'université qui ont réussi dans les affaires. Cet épisode nous a permis de mieux appréhender la vie active. Notre début effectif a été avec nos encadreurs qui nous ont fait des commandes en rapport avec nos études. Ensuite, le bouche-à-oreille a fait son oeuvre et notre boîte prenait de l'importance petit à petit. Il faut dire que cela n'a pas été très facile, il a fallu travailler dur pour convaincre. Le crash boursier d'avril 2001 et le 11 septembre ont plombé le monde des affaires. Cette situation s'est répercutée sur tout le secteur des nouvelles technologies, du coup la morosité ambiante empêchait notre association de décoller. A partir de ce moment, j'ai pensé m'installer en Tunisie, et à partir de ce pays vendre nos services aux Etats-Unis. J'ai réussi à convaincre des investisseurs locaux et j'ai fondé Netconcept. Les deux premières années ont été difficiles, mais nous avons pu, au bout de la troisième année, nous installer sérieusement et aujourd'hui, nous faisons 70% de chiffre d'affaires à l'exportation. Et les perspectives de développement sont très prometteuses. L'environnement des affaires en Tunisie a-t-il participé au développement de votre entreprise? En d'autres termes, quel rôle ont joué les pouvoirs publics? Il est vrai que le cycle administratif de création d'une entreprise en Tunisie a été considérablement allégé. Le guichet unique réduit considérablement les délais pour les nouveaux entrepreneurs, ce qui est en soi, une sorte d'encouragement pour l'entreprise. La volonté politique d'encouragement de l'initiative privée est un facteur important et est à l'origine de l'engouement que nous constatons chez les jeunes entrepreneurs en Tunisie. Il faut dire également que les efforts de l'Etat sont réels pour ce qui concerne l'export. Preuve en est, le Centre de promotion des exportations (Cpex) a pris contact avec Netconcept pour proposer pas mal de fois de participer à des événements économiques à l'étranger. Nous avons ainsi participer à beaucoup de missions commerciales avec le ministre des Télécoms, où nous avons eu l'opportunité d'exposer notre savoir-faire en Europe et ailleurs. Ce coup de main des pouvoirs publics nous a permis d'amorcer la pente. A côté du Cpex, les jeunes entreprises bénéficient du fonds d'amélioration des exportations qui finance la moitié des frais engagés lors des participations à des manifestations à l'étranger. Aujourd'hui, nous volons de nos propres ailes. Nous avons à ce propos, créé avec 8 autres entreprises tunisiennes, un consortium que je préside et qui organise des manifestions économiques dans le domaine des nouvelles technologies de l'information, aux fins de renforcer nos capacités d'exportation. En fait, l'environnement m'a personnellement aidée à asseoir mon entreprise. Au vu de votre expérience, pensez-vous que la Tunisie est en avance par rapport aux autres pays de même niveau de développement dans le domaine des technologies de l'information et de la communication? Je pense que c'est le cas. Il reste bien entendu beaucoup de choses à faire, mais la Tunisie est sur la bonne voie. Il y a des raisons objectives à cet état de fait. L'investissement dans la formation, dans la ressource humaine et dans l'infrastructure de télécommunication sont autant de facteurs qui ont favorisé l'essor des TIC en Tunisie. Je crois que les autorités ont compris assez tôt l'intérêt de la chose, en somme, que le monde passait par une véritable révolution. Et si l'on a raté la révolution industrielle du XVIIIe siècle, il ne fallait pas laisser passer celle-ci. On voit bien des pays comme l'Inde, la Chine et les autres pays du Sud-Est asiatique devoir leur émergence aux nouvelles technologies. Je trouve que cet éveil donne une avance à la Tunisie, même si je ne dispose pas d'éléments comparatifs avec d'autres pays du même niveau de développement. Dans mes voyages en Europe, j'ai constaté que les entreprises tunisiennes n'ont rien à envier à celles qui exercent en Occident. Cela dit, le dynamisme n'est pas une affaire de plusieurs décennies. Il date en fait de quelques années seulement. La Tunisie est en train de réduire, pour ce qui la concerne, «la fracture numérique» par rapport à l'Occident. Cette expérience pourrait être mise à profit dans le cadre du prochain Sommet mondial sur la société d'information? Manifestement oui. Certes, la Tunisie ne dispose pas de la science infuse, mais elle est un bon exemple à suivre. Maintenant, à chaque pays du tiers-monde d'apprécier cette expérience et de la rééditer. Pensez-vous qu'il y ait corrélation entre l'adoption d'un système politique de type occidental et le développement des nouvelles technologies? Les Occidentaux ont tendance à ne pas bien comprendre la situation qui prévaut dans de nombreux pays. Vu de l'extérieur, l'on peut penser que rien n'est faisable en rapport avec la nature du régime en place. Il faut quand même souligner que les tenants du discours sur la transparence dans la gestion politique font de la politique. Or, il faut arriver à faire le distinguo entre politique et économie. A chaque pays, ses besoins. Etant à l'intérieur de la Tunisie, je n'ai à aucun moment ressenti un manque de transparence dans mes relations avec les institutions de l'Etat. Lorsqu'on est à l'extérieur et qu'on applique les standards européens, l'on peut avoir un autre avis, cela n'engage que les personnes qui développent ce genre d'arguments. Mais dans tous les cas de figure, dire que le financement et l'aide au développement du progrès technologique ne sert à rien sous prétexte que certains pays ne s'accordent pas avec la vision occidentale de la transparence, relève du fatalisme. Je suis convaincue qu'il faut aider tous les pays à acquérir les nouvelles technologies aux fins d'aboutir à une société organisée et ouverte sur le monde. Je pense qu'il ne faut pas se cacher derrière l'argument de la transparence pour fermer l'accès aux TIC à des peuples entiers. On peut très bien affronter les deux fronts en même temps. L'Occident a cette obligation de venir en aide au tiers-monde pour lutter contre la pauvreté dans le monde. Concrètement, comment peut se matérialiser l'apport de l'Occident pour réduire la fracture numérique? L'intervention des Occidentaux doit intervenir dans des investissements dans la formation des cadres, dans les infrastructures de télécoms, dans l'équipement informatique. Il est également important d'initier des programmes d'échanges nord-sud pour garantir un transfert de technologies. Enfin, il y a une multitude de chantiers à lancer pour peu que la volonté soit au rendez-vous. Vous êtes d'origine algérienne, c'est en Algérie que vous avez décroché votre bac. A ce titre, gardez-vous un contact avec votre pays d'origine et pensez-vous un jour y lancer un projet? Je ne suis pas seulement d'origine algérienne. Je suis d'abord algérienne avant d'être tunisienne. Je fais de fréquents séjours à Tébessa, ma ville natale. Cependant, dans mon domaine d'activité, j'avoue ne pas avoir beaucoup d'informations sur ce qui se fait en Algérie. Cela dit, je souhaiterais vivement entrer en contact avec des jeunes Algériens qui travaillent dans les technologies de l'information. J'irai sans doute à Alger pour établir des contacts, mais pour le moment, il faut admettre que dans ce domaine, l'environnement n'est pas très visible en Algérie. Je pense à des associations sectorielles, des consortiums...etc.