Des élections cruciales La Cour constitutionnelle, saisie en cas de litiges, n'est pas encore constituée, et l'Isie est fragilisée, le Parlement n'ayant notamment toujours pas désigné de nouveau président. Mais la majorité des élus et les bailleurs de fonds sont opposés à tout report. Grève générale inédite, création d'un parti censé servir les ambitions prêtées au Premier ministre... La Tunisie, pionnière et unique rescapée du Printemps arabe, est entrée de plain-pied dans une année électorale à hauts risques pour sa jeune démocratie. Tour d'horizon à quelques mois de ces scrutins législatifs et présidentiel, huit ans après la chute de la dictature. L'Instance supérieure indépendante chargée d'organiser les élections (Isie) doit les fixer prochainement. La Constitution, dont l'adoption en 2014 fut saluée comme une grande réussite de la transition démocratique, prévoit que les législatives aient lieu dans les 60 jours avant la fin du mandat de l'Assemblée, soit entre début octobre et début décembre. La présidentielle est prévue entre fin octobre et fin décembre. Les législatives sont prévues avant la présidentielle, à moins qu'un parti ne parvienne à convaincre la majorité des députés de bousculer ce calendrier ou que le président ne démissionne. La Cour constitutionnelle, saisie en cas de litiges, n'est pas encore constituée, et l'Isie est fragilisée, le Parlement n'ayant notamment toujours pas désigné de nouveau président. Mais la majorité des élus et les bailleurs de fonds sont opposés à tout report. Premier président élu démocratiquement au suffrage universel en 2014, Béji Caïd Essebsi, 92 ans, est le doyen des chefs d'Etat avec la reine d'Angleterre. M. Essebsi est envisagé comme candidat par Nidaa Tounes, parti qu'il a co-fondé en 2012 et qui est déchiré par des luttes de pouvoir. Il a indiqué mardi dans un entretien à un journal arabophone qu'il ne visait pas «la présidence à vie» et qu'il ne briguerait un second mandat que «dans l'intérêt de la Tunisie» et à condition que Nidaa se ressoude. Il a par ailleurs attaqué son Premier ministre Youssef Chahed, accusé de s'accrocher au pouvoir via un pacte «secret» avec les islamistes d'Ennahdha. Le fils du président, Hafedh Caïd Essebsi, dont la mainmise sur Nidaa Tounes a précipité les tensions, est lui très largement rejeté, jusque dans son camp. Si aucun ne s'est prononcé, le Premier ministre, ex-dauphin du président, rassemble ses troupes. Dimanche a été annoncée la création prochaine d'un mouvement dont les référents politiques sont très proches de ceux de Nidaa Tounes («modernisme», libéralisme...). Si M. Chahed était absent, c'est autour de sa personne et des 44 députés l'ayant rallié cet automne que le mouvement «Tahia Tounes» («Vive la Tunisie») se constitue. Tahia Tounes, tout comme Nidaa, doit organiser son congrès en mars. Ennahdha, formation qui s'en est la mieux tirée lors des municipales de 2018, apparaît pour sa part comme la plus structurée pour les législatives. Elle s'est en outre efforcée d'acter sa mutation en parti à simple «référent» islamiste, ou «islamo-conservateur». Mais Ennahdha n'a pas encore décidé s'il allait présenter un candidat à la présidentielle ou trouver un allié, tel l'ex-président Moncef Marzouki en 2014. Après ce scrutin perdant, Ennahdha avait scellé une alliance surprise avec M.Essebsi, rompue fin 2018. Le chef de file historique d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, a déclaré qu'il ne souhaitait pas être candidat. Mais la décision relève des instances du parti. D'autres personnalités sont évoquées pour ce scrutin, dont l'ex-président Marzouki (2011-14), le chef de file de la gauche Hamma Hammami ou la mécène Olfa Rambourg, dont la Fondation soutient divers projets socio-culturels. Les 11 millions de Tunisiens attendent avant tout des réponses à la profonde crise sociale et économique, alors que la menace terroriste a reflué. La reprise de la croissance n'a pas permis de juguler le chômage, et l'inflation a rogné le pouvoir d'achat. Une grève générale inédite a été observée ce mois, et un nouvel appel a été lancé par le puissant syndicat UGTT. La tentation reste forte de placer le débat sur des questions polarisantes comme les droits des femmes ou la religion. Les conditions pour postuler à la présidentielle sont aussi souples que lors du scrutin historique de 2014, et il pourrait y avoir foule de postulants, ouvrant la voie à des candidatures visant à négocier un ministère ou l'abandon de dossiers judiciaires, selon un observateur. Pour les législatives, un projet de loi visant à relever le seuil électoral à 5% est à l'étude, ce qui accentuerait la domination des gros partis.