Au lieu d'être à l'école, ces mineurs se retrouvent dans la rue, changeant d'emploi et d'employeurs. Annaba, ville de contrastes où malgré d'énormes ressources et le progrès toujours en marche, des milliers de marginaux souffrent du chômage, sacrifiés par un système économique qui les ignore. Cette réalité saute aux yeux. Le chômage est là, avec ses affres visibles à l'oeil nu. Mais que dire quand la majorité des chômeurs regroupe des mineurs de moins de seize ans? Une enquête soigneusement menée a permis de connaître le fond de ce fléau qui marque la jeune société: des adolescents travailleurs. Ces travailleurs ne sont pas des saisonniers, plutôt des employés permanents. Mais, c'est la nature du travail qui n'est pas permanente. Ces mineurs, au lieu d'être à l'école sont dans la rue, changeant d'emploi et d'employeurs. Ils vendent des cigarettes, des sacs en plastique, des vêtements, des légumes et un tas d'autres choses. Ils travaillent dans des garages ou des restaurants. Le problème majeur ne se pose pas au niveau du travail lui-même, mais au niveau des raisons qui poussent ces adolescents à travailler. «Pourquoi les laisse-t-on travailler malgré leur jeune âge?», s'indignent certains qui qualifient cette pratique d'atteinte à la morale humaine et de crime. Et, ils sont tellement nombreux, à chacun ses raisons et ses conditions. Yacine, 13 ans, travaille dans un restaurant à la rue Gambetta. De 6h à 11h, il est garçon de courses, ensuite jusqu'à 13h il est plongeur, il lave toute la vaisselle. Il sort à 16h pour reprendre de 18h jusqu'à 22h. Une véritable exploitation. En rentrant chez lui, il a le droit d'emporter les restes et 2 ou 3 pains. Il se contente d'un salaire de 2000 DA/mois. Pourquoi travaille Yacine? N'est-il pas un enfant comme les autres? Lui aussi a le droit à l'école, aux vacances et aux petites gâteries des parents. Ce n'est qu'un petit garçon, il devrait rire aux éclats, courir et jouer au ballon comme tous les enfants de son âge. Ce garçon qui parle avec tant de sagesse et de responsabilité, nous avoue qu'après ses deux échecs en classe de 7e année fondamentale, son père l'a obligé à cesser ses études et lui a déniché ce travail. Ce parent, sans gêne aucune, nous explique que si chacun de ses enfants s'amusait à rater ses études, et continuait à vivre à ses dépens, il ne lui resterait plus qu'à aller mendier pour subvenir aux besoins de la famille composée de neuf membres. «Et du moment qu'il n'est pas fait pour les études, il ferait mieux d'apprendre à assumer ses responsabilités», dit-il. Il nous avoue aussi que Yacine n'est pas le seul à travailler. Il a une fille de 17 ans qui travaille dans une boulangerie, cela fait presque une année, et ce, depuis qu'elle a échouée au BEF. Et une autre de 11 ans et qui profite des vacances pour travailler en vendant des feuilles de dioul que sa mère prépare à la maison. D'ailleurs, elle gagne bien, ce qui lui permet d'acheter des vêtements neufs pour la rentrée et des affaires scolaires. La cherté de la vie nous y oblige. Il ignore complètement que faire travailler un enfant est un crime. Mais qu'en est-il de l'employeur? Il a besoin de main-d'oeuvre à bas prix. L'âge lui est indifférent et un enfant, c'est encore mieux dans la mesure où cela minimise ses dépenses. Un bas salaire et encore moins de sécurité sociale. Un mineur ne peut être déclaré, il est censé être sur les bancs de l'école et non sur les chantiers de l'exploitation. D'autres ont préféré travailler que d'étudier et d'arriver sur le marché du travail avec le prestige d'intellos. Ceux-là se sentent dérangés par leur jeune âge. Ils ont la fièvre du dinar. Les jeunes ont adopté un style de vie, ils se débrouillent comme ils peuvent. En ces temps-ci, le gardiennage des parkings est très en vogue, les 50% de la population mineure s'adonnent à cette activité tentaculaire et anarchique et à laquelle les autorités concernées manifestent une totale indifférence, d'où ce comportement irresponsable qui encourage ces adolescents à profiter de cette aubaine. Face à cette situation, qu'en pensent les parents? Certains éprouvent une satisfaction morale, du fait que l'enfant est de plus en plus responsable, mais aussi financière car l'enfant arrive à subvenir aux besoins de sa famille en cotisant. Effectivement, cela ne semble pas déranger certains parents qui trouvent même que leurs enfants les «soulagent» en gagnant leur vie. Ils trouvent également que le travail les occupe. Cela vaut mieux que de voler et de finir dans un centre de rééducation. D'autres parents souffrent à l'idée de voir leurs enfants se faire exploiter et être transformés en esclaves. Et ils en veulent beaucoup plus à ceux qui leur ouvrent les postes de travail au noir. «Les parents ont besoin d'argent, nous sommes une famille pauvre, je suis l'aîné de ma famille et je dois aider mon père». D'autres nous disent, avec un sourire sarcastique: «Je n'ai pas besoin de diplôme, je gagne mieux qu'un fonctionnaire». Quoi de plus décevant que de voir nos enfants oublier de vivre leur enfance, loin de toute l'influence socio-économique. Le travail est fait pour les adultes et ces exploiteurs s'amusent à s'aventurer dans le marché de la main-d'oeuvre des mineurs sans scrupule et surtout en toute impunité. Le travail est une trajectoire que tout homme est obligé de prendre un jour ou l'autre. Attendons que nos ados grandissent, ils auront toute la vie pour travailler. Il faut d'abord les aider à vivre en enfant et en adolescent, puis les accompagner à franchir le seuil de la phase adulte. Aujourd'hui, la société algérienne se trouve confrontée à une double crise : celle de l'économie et du civisme, l'une et l'autre sont aggravées par l'effondrement de certaines valeurs et le règne de la dictature de l'argent. Et dans toute cette situation, qui tire le maximum de profit? C'est toujours l'employeur, lequel se soucie seulement du gain par table de multiplication. Parents irresponsables, enfants inconscients, mais les employeurs de quoi peut-on les qualifier? Ceux-là ne devraient pas être épargnés. Dans tous ces textes de loi, l'Etat fait allusion aux droits de l'enfant. Mais il ne fait rien pour préserver ses «présumés» droits. Savez-vous que près d'un million d'enfants de moins de 5 ans meurent chaque année en Amérique latine, de maladie, de malnutrition et de violence? Des responsables de l'Unicef s'alarment par rapport aux différents chiffres donnés, faisant état de quelque 30 millions de jeunes âgés de 10 à 14 ans, qui sont obligés de travailler, dont 15 millions «dans la rue». Nous ne voulons pas que l'Algérie soit citée comme exemple dans ce domaine. Et si cette poussée phénoménale d'enfants travailleurs n'est pas stoppée, dans quelques années, la situation sera incontrôlable. Aussi, des lois draconiennes devraient être promulguées dans ce sens pour protéger l'enfant contre les inhumains qui les exploitent.