Des receleurs leur offrent le gîte dans des hangars avec une ponction sur le prix des produits volés. Le regard éveillé, constamment aux aguets, ils rôdent presque quotidiennement à l'entrée de la zone industrielle de Chteïbo. Il s'agit d'adolescents vêtus de guenilles et d'ont l'âge n'excède pas les 14 années. Ils se postent intentionnellement près d'une étroite bretelle qui bifurque vers ladite zone au niveau de l'autoroute menant à l'aéroport international d'Es Sénia. En empruntant cette bretelle, les véhicules poids lourds transportant diverses marchandises pour les entreprises installées dans cette zone industrielle, avancent au pas en raison d'un virage à épingle parsemé de nids-de-poule. Ces adolescents profitent de cet état de fait pour s'agripper aux camions afin de chiper des marchandises. Pour ce faire, l'un du groupe d'enfants use d'un subterfuge pour détourner l'attention du chauffeur pendant que les autres balancent sur la route les sacs de semoule, de sucre ou tout autre produit transporté par le camion. Leurs victimes ne tentent même pas de les pourchasser pour récupérer leurs biens en sachant que leur camion sera aussi pillé par d'autres gamins à l'affût. Ces enfants chipeurs n'ignorent pas cet état de fait aussi, ils ne se donnent même pas la peine de courir en emportant leur butin. «A la force de leurs bras frêles, ils parviennent même à soulever un lot de fils de fer pour le jeter par-dessus bord», a expliqué un agent de sécurité détaché dans une entreprise étatique spécialisée dans la charpente métallique installée à Chteïbo. «Il faut savoir les prendre car leurs réactions sont aussi violentes qu'inattendues. Ils réagissent comme de jeunes loups affamés auxquels on tente d'arracher la nourriture. Généralement, ils sont armés», a renchéri notre interlocuteur. Pour un lot de ferraille! En effet, quelques jours auparavant, l'un de ces jeunes délinquants a comparu devant le tribunal criminel pour homicide volontaire. Il avait sauvagement assassiné son jeune compagnon d'infortune en s'acharnant sur lui à coups de pelle avant de l'enterrer encore vivant. Reconnu coupable du grief retenu contre lui lors de son procès, ce jeune délinquant a été condamné à une lourde peine de réclusion criminelle. Ses parents étaient mystérieusement absents lors de l'audience. Aussi inconcevable soit-il, il s'est avéré que le partage d'un lot de ferraille était à l'origine de cet odieux crime. Toujours est-il que les objets volés sont, par la suite, fourgués à des receleurs activant dans cette zone qui n'ignorent pas leur provenance. Ces jeunes délinquants représentent pour eux des «clients potentiels», nous dit-on. Ils viennent pour leur grande majorité, des villages essaimés à travers la contrée ouest. Des receleurs leur offrent le gîte dans des hangars avec une ponction sur le prix des produits volés qui leur sont rapportés. Ils sont en général issus d'une famille vivant en-dessous du seuil de pauvreté, de parents divorcés ou décédés et, pour la majorité des cas, ils n'ont jamais mis les pieds dans une école. A Oran, nombre d'autres enfants du même âge ont intégré le monde du travail. Leurs parents sont au chômage ou ont un salaire de misère. Comble de l'ironie, c'est à leurs enfants qu'on offre du travail parce que faciles à exploiter et ignorant les lois. Ils sont recrutés dans des ateliers clandestins ou par des établissements privés et gagnent juste de quoi subvenir aux besoins de la famille pendant une semaine. Faute d'emploi, d'autres encore rôdent dans les quartiers de la capitale de l'Ouest pour ramasser des objets recyclables, du pain rassis, lavent ou gardent les voitures. Des grappes d'enfants fréquentent régulièrement les décharges publiques sur les périphéries d'Oran à la recherche d'objets qui peuvent être récupérés et rapportés à leurs exploiteurs. Ils usent d'un éventail d'astuces pour gagner quelques pièces, entre autres, faire la manche. «Je n'ai jamais connu mon père. Ma mère m'a confié à une nourrice dès mon plus jeune âge. Au début, elle venait de temps à autre me voir et s'acquitter des droits de garde. Elle a subitement disparu et la dame m'oblige, à l'instar d'autres enfants, à lui rapporter de l'argent en échange du gîte et de la nourriture», a confié Kamel, âgé d'à peine 11 ans, vivant chez une dame depuis neuf années, demeurant rue de la Bastille, en plein centre-ville. 267 enfants nés hors mariage Cette dame exploite une ribambelle d'enfants depuis des années, confiés en général par des mères célibataires qui ont basculé dans le monde de la prostitution, pour la plupart. La direction de l'action sociale (DAS) de la wilaya d'Oran fait état de 267 enfants nés hors mariage qui ont été pris en charge, selon les statistiques établies en 2005. 236 de ces enfants ont été placés dans des structures d'accueil au titre de kafala et 19 ont été confiés à des familles d'émigrés.Le reste a été récupéré par leur mère biologique. Combien sont-ils à Oran, Sidi Bel-Abbès, Alger, Annaba ou dans d'autres villes du pays à avoir été obligés d'intégrer le monde du travail pour survivre et faire vivre leurs familles? Aucune statistique n'a pu être établie avec précision car partant du fait qu'on ne peut avoir des données sur une situation qui n'est pas censée exister. Même les pays les plus développés ont buté sur d'énormes difficultés pour évaluer en chiffres ce phénomène du siècle, car l'enfant travailleur est présent dans tous les secteurs. Il est même parfois exploité dans son propre domicile familial, notamment en milieu rural. Cet état de fait est apparent dans les localités limitrophes de la ville d'Oran où des enfants quittent l'école à un âge précoce pour travailler dans les champs et faire la cueillette des fruits de saison pour subvenir aux besoins de leurs familles. «Nous sommes rejetés par nos familles et par la société. Que feriez-vous à notre place?», a martelé un bambin, surpris inhalant de la colle près de la place Jeanne-d'Arc, à quelques mètres de la bibliothèque régionale, lieu de culture par excellence et violent contraste par rapport à la déplorable situation de ce jeune laissé-pour-compte. On apprend dans ce contexte, d'une source autorisée, qu'un centre de réinsertion pour mineurs sera ouvert officiellement le 15 juin prochain dans la localité de Gdyel, à l'est d'Oran, pour renforcer la structure existante d'assistance aux mineurs. Cette initiative a été prise conformément aux dispositions de la convention signée entre la direction générale de l'administration pénitentiaire du ministère de la Justice, celui de la Solidarité nationale et les Scouts musulmans (SMA). Une enveloppe financière d'un montant de 600.000 DA a été dégagée pour les travaux d'extension qui permettront de doter l'actuel centre de réadaptation pour mineurs de Gdyel d'ateliers de mécanique, de tôlerie, de soudure, de couture et de salles équipées de l'outil informatique, deux espaces Internet, deux bibliothèques ainsi que des aires réservées aux pratiques de différentes disciplines. Le programme des Nations unies en Algérie (Psad) a fourni des équipements pour ce louable projet estimé à 400.000 DA. La même source indique que cette structure sera également dotée d'un espace réservé à l'hébergement des familles venues de lointaines contrées du pays pour rendre visite à leurs enfants prévenus. Il importe de souligner dans ce registre que des cellules de veille ont été installées dans le cadre d'un plan national pour la lutte contre la délinquance juvénile. Ces cellules sont assignées aux tâches d'assistance aux enfants abandonnés et à les prévenir contre les dangers de la rue. Ce plan prévoit également des possibilités de formation professionnelle en faveur des enfants exclus du cursus scolaire.