2600 psychologues seront mobilisés pour mettre fin à ce fléau. Aujourd'hui, l'Etat algérien estime que le progrès passera plus que jamais par l'amélioration des services de l'éducation. Certaines façons de faire ont produit de bons résultats dans plusieurs sociétés occidentales, et s'en inspirer est devenu une priorité. A une époque où «plus on sait, mieux on est», l'Algérie remet en question l'école telle qu'elle se «fait». On juge que la qualité et le bien-fondé de la formation, donnés par l'école sont insuffisants. Le taux de décrochage, le niveau scolaire et le nombre de diplômes obtenus, inquiètent de plus en plus. Alors que l'Etat a investi plus de 60 millions pour la réforme du système éducatif. 10.000 enseignants ont commencé une formation et des moyens pédagogiques sont en cours de réalisation. Cependant, il existe un problème encore tabou et mal posé qui fait réfléchir les enseignants et suscite les réactions des acteurs du monde éducatif: la violence à l'école. Les partenaires de l'école osent à peine l'évoquer en s'indignant sur la façon dont les parents gèrent la situation. Une responsable d'association d'Ouled Fayet, Mme Saâd Nabila pose une question plus provocante: «Pourquoi l'école accepte-t-elle d'envoyer au collège, sans rien dire, des analphabètes alors qu'ils ne le sont pas pour rien? Comment mesurer la souffrance de ces jeunes en échec qui posent le problème de discipline?» Nous avons interrogé des enseignants, des élèves et parents d'élèves de différentes localités et régions du pays et la question de la violence scolaire unit et divise parfois. «J'enseigne depuis 22 ans et les élèves ont bien changé. Alors nous avons essayé de nous adapter: jusqu'à ces dix dernières années, il n'est pas un jour sans qu'un professeur ne soit insulté, ou une bagarre n'éclate au sein même de la classe, où les vitres cassées et les graffitis obscènes sur les murs, sont légion. J'ai 47 ans, j'aime mon métier, j'aime les élèves, mais je ne crois pas pouvoir tenir encore très longtemps», nous confie une professeur d'anglais au collège Amara à Baraki. Ce message montre que le désarroi des enseignants est bien réel. Nous avons visité un collège à El Madania. Les classes accueillent parfois plus de 40 élèves de toutes catégories sociales. Nous assistons à trois cours dans trois classes différentes. Il est neuf heures du matin, nous sommes dans la première classe, les élèves s'agitent comme des fourmis, crachent sur le sol, crient, sifflent et le bruit est assourdissant. Soudain, un élève surgit et crie aux autres: «Catanga arrive», la classe recouvre un semblant de calme, Catanga qui n'est autre que le professeur de mathématiques, commence à donner son cours mais les élèves eux reprennent de plus belle leur chahut, l'un d'entre eux jette du papier mâché sur le professeur et quand ce dernier demande à l'élève de se lever, la réaction est explosive. L'élève se lève brusquement, et avec une choquante vulgarité, il insulte son professeur, jette sa chaise en arrière et sort de la classe en adressant des menaces: «Nous nous verrons dehors et là on verra si tu es un homme», lance-t-il au professeur désemparé et fatigué. Le reste de la classe plonge dans un fou rire déconcertant, le professeur, lui, ne maîtrise plus la situation et nous apprenons par la suite que même l'intervention très fréquente du principal n'a pas calmé les élèves. Les deux autres cours n'étaient pas très différents du premier. Dans les yeux des élèves se lisent la lassitude, le dégoût, l'indifférence et surtout de la haine. La haine de quoi et pourquoi? Les déclarations de ces élèves sont surprenantes: «Je suis obligé de venir ici voir les clowns nous apprendre n'importe quoi qui ne sert à rien, dans une année je serai hittiste». «C'est pour faire plaisir à ma mère que je suis là, je n'ai rien à faire ici, c'est une perte de temps», et des témoignages de malaise, nous en avons recueillis des centaines. Mme Achour, professeur depuis 25 ans, rappelle qu'obéir est le contraire de se soumettre. «Qui peut croire qu'on puisse éduquer sans poser des règles? Qui peut penser que la violence scolaire va se dissoudre miraculeusement dans les règlements intérieurs?», déclare-t-elle. Et les parents d'élèves dans cette histoire? La démission est flagrante. Les misères sociales et économiques se lisent dans les yeux des élèves accaparés par les problèmes familiaux au point de ne pas être disponibles pour l'enseignement ou au point d'éprouver une haine pour l'institution éducative. Les parents eux, ne se penchent même pas sur le problème. Comment donc les enseignants gèrent cette violence sous toutes ses formes. Lorsqu'on interroge des enseignants sur leur travail, et en particulier sur la gestion de classes, le vocabulaire employé est celui d'incidents, de conflits circonscrits et aléatoires qui mettent en scène, la plupart du temps, un enseignant et un élève, mais parfois deux élèves. Le vocabulaire «incidents» est sans nul doute une manière de s'exprimer sur des problèmes quotidiens toujours aussi tabous, et marqué d'une grande culpabilité professionnelle. Mais ne faut-il pas des psychologues et des pédagogues pour régler ces problèmes? 2600 psychologues sont prévus. On éviterait alors que des problèmes, certes préoccupants, de gestion de classe et d'autorité, ne deviennent souvent, sous des plumes ou dans des bouches polémiques ou sincèrement désespérées, des symptômes de l'effondrement de notre civilisation!