C'était en 1988 Le «printemps algérien» a une génération d'avance. En 1988, tout comme en 1954, les algériens ont décidé, seuls, à cette époque, de commencer leur combat pour les libertés. Un début qui connaîtra, cependant, un grand intermède jusqu'à février 2019. En ces temps de révolte, qui ne se souvient pas du «printemps algérien»? Sûrement pas ceux qui l'ont vécu. Ces derniers ont tous compris en 2011 et très vite d'ailleurs, que le 5 Octobre 1988 a été le «printemps algérien». Aujourd'hui que le peuple reprend sa marche vers la liberté, des journalistes et autres analystes affirment que les algériens ont «raté» leur rendez-vous avec le printemps arabe. A les croire, l'Algérie serait en retard d'une guerre. Et pourtant l'histoire est têtue. Qualifié de «chahut de gamins» à l'époque, le soulèvement de jeunesse de 1988 avait réuni les conditions politiques et économiques lui permettant de voir le jour. Certes, il n'avait ni slogan politique clair ni leadership, mais avait fait le forcing pour un changement. L'ouverture qui a suivi la contestation d'Octobre 88 a été mesurée et prudente. Il n'en demeure pas moins qu'elle a constitué l'acquis d'une jeunesse qui venait de briser le mur de la peur et de libérer quelque peu la parole. Ce n'est que 23 ans après, le temps d'une génération, qu'un vent de changement a soufflé sur le monde arabo-musulman. Ces convulsions qui ont bouleversé les régimes arabes, connues par la suite par le «printemps arabe», ont conduit à la chute en janvier 2011 de Zine el-Abidine ben Ali en Tunisie, en février de Hosni Moubarak en Egypte, en octobre de Mouammar El Gueddafi en Libye, en février 2012 de Ali Abdallah Saleh au Yémen et, ont failli emporter Bachar Al-Assad en Syrie. Pourquoi le pays n'a-t-il pas été alors emporté par cette immense vague du changement? La raison est simple: l'Algérie a toujours eu sa spécificité. En 1954, les Algériens ont été le seul pays arabe et africain à prendre les armes, face à un puissant colonisateur et ils ont été le seul peuple à avoir libéré leur pays d'une colonisation de peuplement. En 1988 - tout comme en 1954- ils ont décidé, seuls, à cette époque-là, de commencer leur combat pour les libertés et contre la chape de plomb. Un début qui connaîtra, cependant, un grand intermède jusqu'à février 2019. Car, en 1988, la révolte populaire avait ouvert la voie à un semblant de transition démocratique. Certes, l'impunité est demeurée totale concernant l'usage des armes à feu contre la jeunesse, mais l'enclenchement très rapide des réformes a permis de tourner la page. Un amendement constitutionnel a permis la séparation des pouvoirs entre le président et son Premier ministre et une nouvelle Constitution a été adoptée, autorisant le multipartisme. Le paysage politique s'est transformé avec l'arrivée d'une centaine de partis politiques et une presse indépendante qui ouvre ses colonnes aux débats contradictoires. L'Algérie a respiré durant un court laps de temps, avant de déchanter avec la montée de l'islamisme extrémiste et le passage douloureux par une décennie de grande violence qui a engendré plus de 200 000 morts. Des événements qui ont brisé l'élan d'Octobre 88 et ont été à l'origine de l'intermède observé par le peuple pendant une trentaine d'années. Cette page de l'Histoire démontre un des aspects de la singularité du pays. L'Algérie constitue ainsi, à la fois, un cas particulier et un exemple précurseur. Cela lui a permis «d'échapper au printemps arabe». Ce qu'il faut souligner cependant, c'est que le statu quo que l'Algérie a connu en 2011 s'inscrivait en réalité dans la logique de la suspension de son combat, déclenché trente ans auparavant. L'armistice s'avérait nécessaire pour panser les profondes blessures d'un peuple meurtri par une «guerre» fratricide. Durant ces 30 dernières années, un important recul des libertés a été enregistré illustré par les lois restrictives adoptées, la mal-vie et l'exaspération généralisée. Au vide politique sidéral que va connaître le pays amarré à une situation sociale explosive, va venir s'ajouter la tentative du régime d'imposer la présidence à vie, en bafouant les lois de la République, écorchant l'image de l'Algérie et humiliant le peuple. Le vase va déborder. Les Algériens décident de faire entendre à nouveau leur voix. Ils reprennent leur combat de 88 en revoyant à la hausse leurs revendications. Il ne s'agit plus de se suffire d'une démocratie de façade, mais de faire tomber le régime. Cette fois, ils refusent que leur révolte soit confisquée et détournée de son objectif principal: prendre leur destin en main.