Il se proclame ankaoui de coeur, de sang et de raison. Tamache Mehdi fait partie de ces chanteurs à qui le chaâbi doit beaucoup. Il est né en 1951 à Bologhine, à Alger. De 1966 à 1975, il suit les cours de M'hamed El Anka au conservatoire d'Alger. Sa carrière débute juste après sa sortie du conservatoire. Son premier disque, il l'enregistre en 1976. Déjà, à cette époque, beaucoup, notamment les connaisseurs du chaâbi, voient en lui un futur maître. Cette «prophétie» se confirme de plus en plus. Il s'est retiré de la scène artistique pendant la décennie de terreur, il revient aujourd'hui. Dernièrement, il s'est rendu au Danemark et en Suède où il a animé des soirées typiquement chaâbies. Le succès n'a pas tardé à venir. Désormais, et grâce à cet artiste, le chaâbi est arrivé aux confins de l'Europe. L'Expression: C'était comment votre séjour au Danemark? Tamache Mehdi: C'était une fête. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit aussi grandiose, aussi chaleureuse. Racontez-nous un peu votre visite dans ce pays depuis le début. Je suis parti là-bas sur invitation de M.Bengana Youcef, à la demande de la communauté algérienne au Danemark. J'y ai passé 26 jours de pure merveille. Au cours de ce séjour, j'ai animé une soirée pour fêter le 50e anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale. La salle était archicomble. Il y avait pas moins de 800 personnes entre Algériens et Danois, à leur tête son excellence madame l'ambassadrice d'Algérie au Danemark. La plupart de ceux qui sont venus sont des familles. Il y avait parmi eux des Algériens mariés à des Danoises. Ces dernières étaient émerveillées en écoutant la musique chaâbie. Les Danois ne comprenaient pas les paroles mais ils apprécient les mélodies. Et je ne m'attendais pas du tout à cet accueil. Il faut dire la vérité. Lorsque Bengana m'avait demandé de me rendre au Danemark pour animer une petite soirée chaâbie, je n'en revenais pas. Néanmoins, avant mon départ, j'ai soulevé un problème qui me paraissait énorme: celui de l'orchestration. Alors mon hôte m'a demandé de ne pas m'inquiéter et qu'il va s'en charger. Il m'a fait savoir aussi qu'il y a quelques musiciens algériens, de surcroît férus de chaâbi, qui sont prêts à jouer avec moi. Il a nommé, entre autres Maza, Djamel Saâda, Tamechmacht Jaffar, d'ailleurs c'est le frère de celui-ci, Kamel, qui a eu l'amabilité de m'accueillir chez lui. Ces musiciens avaient déjà joué, et pendant longtemps. Cependant, depuis leur installation au Danemark -18 ans pour certains et 20 ans pour d'autres- ils n'ont pas joué. Et par voie de conséquence, ils ont perdu la main. Une fois réunis, l'orchestre était confronté à un petit problème, mais comme la communauté algérienne vivant à Copenhague s'est mobilisée, nous l'avons vite résolu. En effet, un Algérien, Ali Guelmi, un 7e dan en karaté, a proposé de nous octroyer sa salle de sport. On y entrant, rassi h'bess (je suis resté figé). La salle où il entraîne est d'une immensité inimaginable. Nous avons donc répété pendant deux jours. Le Premier Novembre, tout le monde était prêt pour la fête. Et depuis cette soirée, les Algériens n'ont eu de cesse de m'inviter, à tour de rôle. C'étaient les derniers jours du mois de carême. Après ce périple, vous vous êtes également rendu en Suède... Effectivement. Et là encore les Algériens m'ont réservé une petite surprise. En me rendant en Suède, ceux qui ont assisté à la soirée que j'ai animée au Danemark se sont déplacés avec moi pour assister à la soirée. C'était un vrai cortège. Je ne me suis jamais imaginé dans ce pays. Même pas dans mes rêves. D'autant plus que je ne supporte pas le froid. Au début, j'allais passer 15 jours seulement. Mais avec l'insistance des Algériens, j'y ai passé quand même 26 jours. Et l'orchestre, qu'est-ce qu'il devient après ces soirées et ton retour en Algérie? Les musiciens sont toujours ensemble. Ils gardent toujours le contact et jouent ensemble. Aussi, grâce à la magie du chaâbi, plusieurs Algériens se sont rencontrés. De toutes les manières, c'est le destin qui a actionné sa baguette magique. Et vous pensez y retourner? On me l'a demandé avec insistance. Et dans ce cas, allez-vous garder les mêmes musiciens? Je vais voir avec Youcef Bengana. Et s'il juge nécessaire de prendre avec moi deux ou trois musiciens, pour être à l'aise, je le ferai. Ceci dit, les musiciens avec qui j'ai joué au Danemark sont assez bien. Cependant, pour que la fête prenne un peu plus d'envergure, il est bon que je sois accompagné d'un drebki (percussionniste) pour le rythme, parce que la derbouka en est la reine. Et si je reçois des invitations de la part de l'ambassadrice d'Algérie au Danemark, c'est encore mieux. Je prendrai tout mon orchestre, quoique cela coûte cher. Revenons maintenant à la chanson, quoi de neuf sous le soleil? Dieu merci que nous soyons revenu à la chanson. Il faut dire que nous avons passé une décennie horrible. Personne ne se souciait alors de l'autre. Chacun prenait son coin avec angoisse et tristesse. A l'époque, se hasarder à lancer un nouveau produit sur le marché, relevait de la pure lâcheté. C'est inhumain de chanter et d'animer des fêtes, tandis que ses concitoyens tombent sous la lame tranchante des terroristes. C'est inadmissible. Cependant, maintenant que le calme est revenu, on va voir ce qu'on va faire. Profiterez-vous de cette paix pour lancer un nouveau produit sur le marché? On me pose fréquemment cette question. Vous savez, on n'est pas encore arrivés au bout de l'ancien...celui-ci reste toujours d‘actualité. C'est un patrimoine national. C'est très riche, le texte (le q'cid). Dans le chaâbi, composer une chanson n'est pas une sinécure. Il faut trouver la bonne parole, lui choisir la musique adéquate. C'est un travail de longue haleine qui demande du temps et de l'énergie, ce qui n'est pas toujours évident. Pourquoi ce n'est pas évident? Si on prend mon cas par exemple, fonctionnaire de mon état au niveau de la Banque extérieure d'Algérie, je n'ai pas assez de temps à consacrer à la chanson. Je sors tôt le matin et je rentre tard dans la soirée. Il faut que l'artiste soit considéré en tant que tel. Mais là encore, les artistes algériens sont confrontés à un éternel casse-tête : le statut. Nous n'avons pas de statut. C'est pas facile de travailler, de produire dans une telle situation. Cet art, nous l'exerçons par amour et passion. Parce que nous l'avons dans le sang. C'est la «amana» du cheikh (El Anka, Ndlr), que Dieu ait son âme. Nous devons, nous ses élèves, protéger ce riche répertoire. Une nouvelle génération de chanteurs se proclame appartenir à un nouveau courant, à savoir le néochaâbi, qu'en dites-vous? Rahoum Ighiytou (ce n'est que du bla-bla). Le néochaâbi n'existe pas. A mon avis, l'homme, quand il n'arrive pas à atteindre son but, il lui trouve un «palliatif», un «ersatz» pour combler son incompétence. Parce que le vrai chaâbi n'est pas donné à n'importe qui...Pourquoi Mahboub Bati, El Badji et autres n'ont pas parlé de ce courant? Peut-être qu'ils ont réussi à introduire de nouvelles musiques, à apporter quelque chose de nouveau... Peut-être, mais je ne vois pas cette nouveauté. Peut-être qu'ils ont introduit une nouvelle instrumentation. On ne sait jamais. Mais jusqu'à preuve du contraire, on n'a rien vu, donc ces gens-là prêchent dans le vent. On parle aujourd'hui, avec insistance, de la crise dans laquelle s'est enfoncé le chaâbi.. C'est parce que, à un moment donné, ce genre a été abandonné. C'était pendant la fameuse décennie de sang et de feu. Nous étions tous, autant que nous sommes, touchés par cette vague implacable de violence. A mon avis, c'est la seule explication qu'on puisse donner aujourd'hui. Sinon, vous vous proclamez toujours ankaoui? Oui, je ne changerai jamais. El Anka! Ya hasrah! Je l'ai rencontré, pour la première fois, en 1966, au conservatoire. C'était comment? Vous savez, vous me plongez 39 ans en arrière. A cette époque-là, je ne me suis jamais imaginé être en face du maître. Il était quelqu'un de sacré, surtout pour moi qui a appris ses chansons par coeur. Alors, me figurer en tant qu'élève... Pourtant, grâce à Mustapha Toumi, un ami à mon père, j'ai pu devenir son disciple. J'ai beaucoup appris de lui. Il était sévère et ferme. Il nous disait tout le temps: «Awlidi, mazal chwiya» (il te reste encore à travailler, Ndlr). Aussi, tous les élèves qui sont passés chez lui, sont devenus des maîtres incontestés du chaâbi, à l'instar d'Abdelkader Charcham, Fardjallah... Comment voyez-vous l'avenir de la chanson chaâbie, notamment avec la nouvelle génération? Je crois que tout ira pour le mieux, pourvu qu'on travaille sérieusement. Il faut que les jeunes apprennent une chose : s'ils aiment vraiment le chaâbi, ils doivent s'y consacrer corps et âme. Ne jamais courir après l'argent. Le pécule viendra de lui même une fois l'expérience nécessaire acquise. Ce sont les gens qui viendront frapper à sa porte et lui demander d'animer des fêtes. Mais avant tout, comme je l'ai souligné auparavant, il faut persévérer et travailler assidûment. Voilà donc la clé de la réussite aussi bien des jeunes férus du chaâbi que ce genre lui-même. Et le Danemark, envisagez-vous d'y faire une tournée... (Rires)Le Danemark ? Ida hab Rabi (avec la volonté de Dieu).