Sitôt l'antenne rendue à Alger, l'Algérie tout entière a poussé un grand ouf de soulagement. La télévision algérienne a sans aucun doute fait, avant-hier, à 20 heures, l'un des ses records historiques en termes d'audience. Les six millions de foyers que compte le pays étaient tous au rendez-vous du JT. Et pour cause, ils allaient avoir «la preuve par neuf» que le président de la République s'est bel et bien rétabli de l'intervention chirurgicale qu'il a subie à Paris. Sitôt l'antenne rendue, l'Algérie tout entière a poussé «un grand ouf» de soulagement. Cela s'est traduit par des concerts de klaxons dans plusieurs villes du pays. Ainsi, des petits groupes se sont formés au centre de la capitale, brandissant le drapeau algérien et criant «vive Bouteflika». Des manifestations de joie similaires ont eu lieu dans les autres régions, notamment à Tlemcen, Laghouat (sud), Skikda, Béjaïa, Bouira et à Tizi Ouzou. L'annonce de la guérison du président de la République a été abondamment commentée par les foyers blidéens. Dès la diffusion des images à la télévision, des youyous ont fusé des balcons. Aussitôt après, des klaxons et des cris de «vive le Président» ont été lancés à partir des voitures défilant dans les grandes artères de la ville. Le lendemain, la joie était visible chez les citoyens qui se sont rués sur les journaux pour avoir tous les détails sur le cours des événements de ces trois dernières semaines d'inquiétude. «On est vraiment soulagés de voir cette issue heureuse pour le président», nous dit ce père de famille. «Nous aimons ce président. Ça nous peine de le voir souffrir en silence», enchaînera une jeune fille. Pour Amar Yahiaoui, un défenseur mordu du président et ancien membre du cabinet de la campagne présidentielle, l'apparition du président à la télévision est «un cinglant démenti aux faiseurs de rumeur et de l'intox ». A Blida toujours, les autorités locales civiles et militaires ont organisé une cérémonie au siège de la wilaya pour souhaiter un prompt rétablissement au président. «Wallah rani ferhane, enfin chefna Rais» affirme Karim, la trentaine, croisé, hier matin, au centre d'Alger. Après plusieurs jours d'inquiétude, d'incertitude, et de doute, les Algériens ont eu droit, samedi soir, aux premières images du président Bouteflika. Cinq minutes ont suffi pour briser le mur du mensonge, très soigneusement entretenu par la presse française. Le président est encore vivant. Eh oui, il fallait des images pour convaincre les plus perplexes. La communication institutionnelle a-t-elle été «désastreuse»? Excepté le bulletin médical diffusé le 5 novembre, aucune information n'a filtré sur l'état de santé du président. Le gouvernement s'est montré très rassurant. Seulement voilà, les Algériens ont l'habitude, à tort ou à raison, de prendre de la distance avec «l'officiel». «Personnellement, je continuais à croire aux rumeurs les plus folles tant que je n'avais pas vu les images du président, et puis les autorités officielles n'ont pas toujours brillé par un discours clair en direction du peuple», argumente Rédha, chômeur. Même Cheb Mami, la star du rai, qui lui, est apolitique, n'a vraisemblablement pas totalement réconforté les plus sceptiques parmi les citoyens qui voulaient avoir «une preuve vivante» après trois semaines de doute. «Personne, ni rien, ne pouvait me certifier que la démarche de Mami n'était pas destinée à gagner du temps plus qu'autre chose», ajoute notre interlocuteur. Les rumeurs se sont propagées donc, comme une tache d'huile. Durant ces derniers jours, les plus cruelles faisaient état d'une maladie grave qui aurait atteint le président. «C'est le cancer», rapportent certains titres étrangers. Bouteflika serait «mort depuis quelques jours», selon une association maghrébine inconnue installée en France, et que le journal Le Monde a pris la peine de reprendre. En Algérie, «Le cimetière d'El Alia aurait été badigeonné en prévision de la cérémonie officielle de l'enterrement du président». L'état-major de l'armée nationale serait «en conclave à Sidi Fredj pour préparer la succession». En politique, la fin justifie les moyens. «C'est de bonne guerre», diraient les colporteurs de ces rumeurs. Certains médias arabes se sont même préoccupés du devenir de la réconciliation nationale. En somme, l'après-Bouteflika était même présenté comme imminent. Toutes ces «informations» invraisemblables s'étaient déversées sur une opinion qui, à force d'intox, ne savait plus à quel saint se vouer. Il n'empêche que malgré ces folles rumeurs, les Algériens semblaient ne croire ni les uns ni les autres. Beaucoup de citoyens interrogés par L'Expression disent qu'ils attendaient tout simplement de voir le chef de l'Etat pour se faire une opinion par eux-mêmes. Mais personne n'a pu chasser l'épisode du décès du président Boumediene. «Je ne sais pas pourquoi, mais cette situation m'a fait rappeler la maladie de Houari Boumediene. J'avais vraiment peur», raconte cette sexagénaire, rencontrée à Kouba, apparemment très émue. L'amitié qui unissait les deux dirigeants politiques était-elle un signe du destin? «El Maktoub a-t-il tracé la même fin tragique à l'actuel président? Quel sera le devenir du pays? Qui va prendre le pouvoir? L'Algérie sombrera-t-elle encore une fois dans la violence en l'absence de Bouteflika?» Autant de questions qui tourmentaient cette vieille dame, avant que les images de la télévision ne la soulagent définitivement. A travers cette personne, tout un peuple vivait la même angoisse, parce que, et comme le souligne si bien Farid, administrateur dans une Banque publique, «dans de telles circonstances, l'on ne peut que se montrer solidaires avec le président, quelle que soit notre opinion politique». Alger, le poumon de la République, donnait l'impression de revivre. Les passants ont pris d´assaut les kiosques à journaux. Tous les quotidiens avaient en «Une» une photo de M.Bouteflika. «le pauvre, il avait une mine fatiguée, mais c'est normal, il a subi une intervention chirurgicale. L'essentiel, c'est qu'il soit vivant», affirme ce quadragénaire. «Je suis sûr qu'il va dépasser très vite cette triste étape», atteste un autre citoyen. «Si un malheur venait à frapper le président, je crains que ça serait fatal pour le pays», fait remarquer un troisième qui n'a pas caché «tout l'espoir qu'il porte dans le projet de réconciliation du président de la République». Bouteflika signifie «la paix» pour lui. Pour le très peu de gens qui ont raté le JT de 20h la surprise est d'autant plus grande. Réconfortés par ses paroles et les images télévisées, les Algériens ont compati à la maladie du président. «C'est un être humain, il a le droit de tomber malade», accentue Farid, universitaire.