La République est traversée par une grave faille qui sépare d'un côté les citoyens et d'un autre côté, les représentants de l'Eat à tous les niveaux. La déliquescence de l'Etat n'est plus une vue de l'esprit, mais un fait. Il s'observe sur le terrain et s'accentue chaque jour davantage. Des hommes politiques sont chahutés durant les marches du mouvement populaire. Des ministres et des représentants de l'Etat sont carrément chassés durant leurs activités sur le terrain. Les exemples dans les deux cas ne manquent pas. De Bouchachi, Mokrane Ait Laarbi, Saïd Sadi, Karim Tabbou, Ali Ghediri et Louisa Hanoune, ont tous été chahutés par des «manifestants». On a vu avec quelle manière l'ex-président du MSP, Bouguerra Soltani a failli être lynché par des manifestants à Paris. Dans un cas comme dans l'autre rien ne justifie de pareils comportements. De quel droit empêcher une personne de manifester quand bien même on diverge avec elle au plan idéologique? Parce que les citoyens ont été justement bâillonnés pendant vingt ans qu'ils sont sortis dans la rue pour dénoncer toutes ces restrictions. Depuis le 22 février, l'Algérie émerveille le monde par son mouvement de contestation. Des millions d'Algériens investissent les rues pour crier pacifiquement leur colère. «Sylmia, Sylmia» n'est-il pas le slogan-phare du Hirak algérien? Il serait suicidaire de ne pas voir en ces dépassements aussi minimes fussent-ils un début de dérive vers la violence sans lendemains. Cela comme premier éléments d'analyse, le second concerne les cas des ministres pratiquement interdits de visite sur le terrain. Jamais depuis l'indépendance du pays on a assisté à un pareil cas où un gouvernement est placé sous couvre-feu. Quand un ministre de la République est chassé comme un malfrat, cela signifie que le citoyen n'a plus cette fascination qui le lie à ses responsables. Honni, détesté, rejeté, accusé de vol, de corruption et de pillage, le ministre a cessé d'être aux yeux du simple citoyen, ce représentant de l'Etat avec son autorité. Des milliers de personnes étaient rassemblées hier, devant le tribunal de la rue Abane-Ramdane, à Alger, attendant avec des pots de yaourt l'arrivée de l'ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia. Quelques policiers se démenaient face à une foule chauffée à blanc. Il n'est pas exagéré de dire qu'on aurait assisté à une scène à la manière du lynchage du colonel El Gueddafi si Ouyahia s'était présenté au tribunal. Hier, à la Casbah le wali d'Alger n'a dû son salut qu' à ses gardes du corps. Quoique dans ce cas précis, il s'agissait d'une foule sous l'emprise de l'émotion, car il y a eu mort d'hommes. Abdelkader Zoukh a été chassé par une foule compacte de la Basse Casbah, alors qu'il s'apprêtait à s'enquérir de la situation suite à l'effondrement d'une vieille bâtisse encore habitée. Les habitants, en colère, couraient derrière lui en scandant «Pouvoir assassin». Ils reprochent au wali d'Alger sa négligence, puisque, expliquent-ils, ces habitants attendaient depuis des années d'être relogés. Cette exaspération est dans le même élan que celui du mouvement Hirak qui rejette tous les symboles du régime. Plus aucun ministre, wali ou autre figure liée de près ou de loin ne peut prétendre s'adresser aux citoyens. A ce stade, il faut dire que la République est traversée par une grave faille qui sépare d'un côté les citoyens et d'un autre côté les représentants de l'Etat, à tous les niveaux.