Les deux principaux acteurs du film sur le tapis rouge À 76 ans, voilà que Malick revient avec son film le plus mystique -même si «Tree of Life» (Palme d'or 2011) contenait déjà les prémices de cette introspection profonde... Et dire que le plus mystérieux des cinéastes américains, vivant, élevé au rang de totem par la corporation, avait commencé par tremper, le bout d'un orteil, dans les eaux aussi tumultueuses que peu profondes du cinéma d'action, avec Clint Eastwood en flingueur en chef, «Dirty Harry» him self. Avant de se retirer sur la pointe des pieds et d'aller explorer d'autres univers. Ce fut l'incroyable «Badlands» qui lui balisa la voie royale qui mène vers la notoriété, mondiale, avec «Les Moissons du Ciel» (1979)... Et cela dure depuis 45 ans, à ceci près, c'est que Malick ne réalisa que quatre films en... trente ans! Il aura donc fallu attendre 2010, pour que le rythme devienne «infernal», quatre films et un documentaire, en moins d'une décennie. Mais le mystère demeure quand même entier, autour de cet homme qui refuse les interviews, fuit les photographes, ne se contentant de communiquer que par l'image à l'instar d'un Stanley Kubrick ou par des mots comme son compatriote écrivain JD Salinger. Un film mystique À 76 ans, voilà que Malick, revient avec son film le plus mystique -même si «Tree of Life» (Palme d'or 2011) contenait déjà les prémices de cette introspection profonde... «Une vie cachée», son dernier opus donc, le plus difficile, mais aussi le plus ouvert, se fonde sur une réflexion heideggérienne, autour de l'existant humain, jeté en avant de lui-même, ce que le philosophe allemand «résume» en un mot: la déréliction. Franz Jägerstätter, paysan autrichien, refuse de se battre aux côtés des nazis. Reconnu coupable de trahison par le régime hitlérien, il est passible de la peine capitale. Mais porté par sa foi inébranlable et son amour pour sa femme, Fani, et ses enfants, Franz reste un homme libre. «Une vie cachée» raconte l'histoire de ces héros méconnus. Aux instants de grâce iconographique succèdent, en alternance, des moments de douce spiritualité, s'inscrivant en contrepoint d'une barbarie dont le monde n'en découvrira l'ampleur que vers le tomber de rideau, en mai 1945. Il y a du Andreï Roublev, du Tarkovski chez ce Terrence Malick ourlant de fil cramé la bure de toutes les servitudes à l'ordre établi. Le paysan-objecteur de conscience, en souffrira jusqu'au martyre. Il sera d'ailleurs béatifié par le Vatican, en 2007. Il y a du Pasolini sublimé dans la démarche sulpicienne de Terrence Malick, ce qui en dit un peu plus, sur l'immensité de la tâche que l'on devine, (difficilement) aux relents familiaux. Les parents du cinéaste, d'origine assyrienne, étaient venus d'un petit village de la région d'Ourmia, en Iran, fuyant les massacres perpétrés par les Ottomans dans cette partie isolée de la Perse. L'image est d'une beauté sublime, le propos contient quant à lui, une charge suffisante de damnation, destinée à taire les questionnements vains de l'Humain, lorsqu'il se retrouve au pied du mur contre lequel la barbarie des hommes l'accule jusqu'à l'ultime souffle. Une oeuvre d'une profonde philosophie Terrence Malik, signe là, une oeuvre d'une profonde philosophie, qu'on ne peut appréhender, que muni des outils nécessaires à la compréhension de l'indicible que l'horreur impose lorsque la servitude s'installe en concept. Heidegger à qui on a reproché, un temps, sa compréhension du fait nazi, parlerait lui de l'inauthentique, phase de la vie où l'on se déroberait à soi-même. Pendant trois heures, on s'accroche donc à cette histoire que Malick tisse de la manière la plus complexe qui soit, sans pour autant décourager ses suiveurs. Ce qui change des précédentes réalisations (les trois dernières notamment) qui ont laissé plus d'un «adepte» de la pensée malickienne, sur le bord de la route. Le procédé narratif est cette fois bien plus visible et l'on perd moins de temps (quand on ne se perdait pas tout simplement) à retrouver son fil d'Ariane. Ce qui rend le travail du cinéaste encore plus attachant c'est que la question de départ n'est plus posée de manière abstraite. Elle est amenée, en filigrane, par le spectateur attentif qui en fournira tous les éléments de langage, d'interpellation: La foi peut-elle culpabiliser ou sauver? Vaste question à laquelle le cinéaste ne répond pas, se contentant de poser léquation pastorale - église catholique oblige - pendant les cent quatre-vingts minutes, que dure la projection. La salve d'applaudissements qui s'ensuivit ne renseigne pas trop sur la suite. Soulagement d'avoir subi cette épreuve sans craquer ou bien approbation de la démarche de Terrence Malick contempteur que rédempteur Au générique de fin, le cinéaste place une phrase de Middlemarch de George Eliot: «Ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes que personne ne visite plus», une façon de s'évoquer, à travers ce chef-d'oeuvre de la romancière anglaise, dans cette façon de vivre dans la discrétion, mais en rapport avec ses idées? Certainement.