L'étau se resserre sur le régime syrien et les témoignages de l'ex-vice-président acculent un clan du pouvoir aujourd'hui aux abois. Les déclarations de l'ancien vice-président syrien, Abdel Halim Khaddam, à la chaîne satellitaire Al-Arabiya ont totalement bouleversé la donne de l'affaire de l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, Rafik Hariri, en apportant des témoignages inédits susceptibles d'éclairer, un tant soit peu, les faits et donner à la justice de poursuivre son cours. En tout état de cause, la sortie à tout le moins tonitruante de l'ancien homme fort du régime baasiste syrien sinon en sonne le glas, du moins l'ébranle sérieusement sur ses assises. En mettant en cause le président Bachar Al-Assad, par l'affirmation qu'aucune décision, à fortiori aussi grave que celle d'assassiner un homme d'Etat, ne pouvait être prise sans son aval, encore moins qu'il puisse l'ignorer «Le président Bachar Al-Asad ne pouvait ignorer le projet d'assassinat de Rafik Hariri», souligne Abdel Halim Khaddam, mettant en position fausse son ancien protégé et fils de son compagnon de lutte Hafez Al-Assad. Mais au plan pratique, le témoignage de Abdel Halim Khaddam relance l'affaire Hariri et donne du poids aux conclusions de la commission d'enquête de l'ONU qui a vainement cherché à entendre le président Al-Assad et son chef de la diplomatie Farouk Al-Chareh. De fait, le juge Mehlis n'a pas manqué l'opportunité de ces nouveaux éléments, induits de l'interview de M.Khaddam à Al Arabiya, pour demander de nouveau à entendre MM.Assad et Al-Chareh. Ainsi, dans un communiqué publié hier, la commission de l'Onu sur l'assassinat de Rafic Hariri a indiqué vouloir rencontrer le président syrien et son ministre des Affaires étrangères suite aux déclarations retentissantes qui ont redonné du tonus à l'enquête. Dans une déclaration à des agences de presse, la porte parole de l'ONU à Beyrouth, Nasrat Hassan, a confirmé que la commission, créée en avril par la résolution 1595 du Conseil de sécurité, «attendait la réponse des autorités syriennes à sa demande de s'entretenir avec MM.Assad, Chareh et avec d'autres Syriens». On peut supposer qu'il s'agit du frère du président syrien et de son beau-frère, également chef du renseignement syrien. De fait, les noms de Maher Al-Assad et Assef Chawkat, respectivement frère et beau-frère du président syrien, sont cités dans une version (qui n'a pas été rendue publique) du rapport remis en octobre par Detlev Mehlis. La porte parole de l'ONU a également indiqué que «la commission souhaite rencontrer le plus tôt possible», M.Khaddam, dont les révélations, vendredi, ont donné «un coup d'accélérateur» à une enquête qui faisait du surplace. En guise d'accélérateur, M.Khaddam ne pouvait faire mieux lorsqu'il affirme que M.Al-Assad à menacé Rafic Hariri et que le président syrien ne pouvait ignorer le projet de l'assassinat de Hariri, «car aucun service de sécurité ne pouvait agir en dehors de la connaissance de M.Assad». Pour la commission de l'ONU, cela semble suffisant pour relancer l'enquête et donner de la consistance au rapport remis en automne dernier par la commission Mehlis au Conseil de sécurité. Saad Hariri, fils de l'ancien Premier ministre assassiné, chef de la majorité parlementaire libanaise, réagissant au scoop de l'ex-vice-président syrien, a dit «C'est un témoignage historique» ajoutant «l'histoire finira par dévoiler la liste des instigateurs du dénigrement contre Rafic Hariri». Si le témoignage de l'ex-homme fort syrien conforte ceux en quête de vérité, il est catégoriquement rejeté par le Baath syrien, qui crie à la trahison et demande la tête de Abdel Halim Khaddam, mais aussi par le président libanais, également mis en cause et écorché par l'attestation de M.Khaddam. Le président libanais Emile Lahoud a vivement rejeté dimanche les accusations portées contre lui par l'ancien vice-président syrien Abdel Halim Khaddam, selon lesquelles il aurait mené des campagnes de dénigrement contre l'ancien dirigeant libanais assassiné Rafic Hariri. Dans un communiqué rendu public dans la soirée de dimanche, la présidence libanaise réfute les affirmations de Abdel Halim Khaddam et indique «M.Khaddam a prétendu que le président Lahoud a lancé des campagnes de dénigrement contre le (...) martyr (Hariri) qui ont eu une influence sur le président Assad (...) Or, le président Lahoud n'est pas un amateur de campagnes de dénigrement». Certes, M.Lahoud aura néanmoins à s'expliquer de même que tous ceux impliqués de près, ou de loin, dans une affaire qui est loin d'avoir livré toute sa vérité. A Damas, le temps des règlements de comptes semble venu où l'ex-vice-président Abdel Halim Khaddam s'est rappelé aux mémoires de manière fracassante, voué aux gémonies et se voit exclure du parti Baath, dont il démissionna de tous ses postes de responsabilité en juin dernier, rappelle-t-on. Il est accusé de haute trahison et de corruption et tous ses biens saisis. Ainsi, selon le journal damascène As-Saoura d'hier, «Le Conseil des ministres va prendre les mesures nécessaires pour faire juger Khaddam pour haute trahison, et pour ouvrir une enquête sur son implication dans une série d'affaires de corruption avec une saisie de ses biens» alors que l'agence officielle syrienne Sana reproduisait dimanche un communiqué du Baath selon lequel «La direction nationale a décidé d'exclure Khaddam du parti. Elle le considère comme un traître. Ses calomnies et ses mensonges violent les principes nationaux et patriotiques». Pourtant, c'est bien sur la tête des responsables du Baath et du président Assad que les nuages d'orage semblent s'accumuler.