Enigme? On peut se demander que viennent faire les lettres anonymes dans un discours dédié à la relance économique. Tenant compte de ce contexte, une partie de la réponse s'y trouve. Partant de ce postulat, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, faisait part des lettres relatant des dysfonctionnements, réels ou supposés, qui concernent le secteur économique. Surtout ses acteurs. Mais pourquoi ses lettres sont-elles l'oeuvre de personnes anonymes? Là, deux explications sont possibles. Si les faits relatés sont vrais, ceux qui les divulguent, tout en se réfugiant dans l'anonymat, veulent éviter les désagréments consécutifs à la mise en branle de la machine judiciaire. Convocations, auditions, confrontations, etc. Pendant l'enquête et ensuite au cours du procès. C'est un comportement assez courant même pour le témoignage d'un accident de la route. On pourra leur reprocher leur manque de civisme, mais cela reste la forme «Light» de l'anonymat. À ceux-là, le meilleur conseil serait de prendre leur courage à deux mains et d'agir en patriotes en saisissant la justice pour lui remettre les preuves qui seraient en leur possession. Et si cela pourrait mieux les rassurer, de les publier dans les médias comme suggéré par le chef de l'Etat. La deuxième explication est plus abjecte. C'est le cas lorsque les faits contenus dans la lettre anonyme s'avèrent infondés et montés de toutes pièces. Juste de quoi semer le doute et perturber la ou les personnes prises pour cibles. Avec souvent des conséquences incalculables et imprévisibles sur leur vie quotidienne. Quand ce ne sont pas des séquelles irréversibles. On a vu que dans certains cas, cela peut conduire à un état d'inhibition si fort que la victime n'ose plus rien entreprendre. Le fait de savoir qu'on est la cible d'une machination peut se répercuter sur l'état psychique au point de perdre ses capacités à remplir convenablement et durablement ses fonctions. Dans ce cas de figure, il s'agit de lettres anonymes relevant de la grande délinquance. Qu'il s'agisse de règlement de comptes, de volonté morbide pour écarter quelqu'un avec le secret espoir de le remplacer ou de simple jalousie, les dégâts sont les mêmes. D'ailleurs, on trouve dans notre histoire récente l'illustration de cette honteuse pratique qui était de semer la suspicion qui pouvait aller jusqu'à l'anathème sur d'honnêtes citoyens. C'était en janvier 2005. Lors d'une cérémonie officielle, feu Ali Tounsi, l'ancien Dgsn, avait dénoncé des agissements coupables dans l'élaboration de ces «fiches d'habilitation» appelées également «fiches de sécurité». Il avait annoncé avoir donné l'ordre d'incinérer «les restes d'une époque». Celle qui consistait à consigner «de faux renseignements sur une personnalité» pour la priver de ses droits pour diverses raisons qui n'avaient rien à voir avec l'intérêt du pays. Des raisons sordides. Et d'annoncer la réforme de cette procédure qui «devra, a-t-il dit, se baser sur des informations strictes et juridiquement fondées». A l'époque ce «coup de gueule» du premier responsable de la police avait eu une résonance d'une ampleur inédite et surprenante. C'était aussi, pensait-on, une manière pour Ali Tounsi de montrer son désaccord avec le général Toufik dont les services confectionnaient, eux aussi, des «fiches d'habilitation» avec la méthode «des restes d'une époque». Que de vies brisées. Que de droits de citoyens bafoués. Certains traînent à ce jour des séquelles. C'est, conscient de tous ces dégâts que le président Tebboune, aussitôt élu, avait promis, lors de sa conférence de presse du 13 décembre dernier, de «rendre justice à toutes les victimes de la ‘'Issaba'' (bande criminelle)». Le fait que le président Tebboune aborde le problème des lettres anonymes lors d'une rencontre sur la relance économique n'est pas le fruit du hasard. Deux objectifs à cela. Le premier pour dire aux auteurs de ces lettres qu'ils perdent leur temps. Que les services de renseignements de l'Etat sont aujourd'hui plus efficaces qu'hier pour séparer «le bon grain de l'ivraie». Avec professionnalisme et sans injustice aucune. Le second objectif est de rassurer les acteurs du secteur économique, qu'ils soient privés ou publics, qui vivaient avec la crainte de subir le «poison» des lettres anonymes dont les réseaux sociaux ont usé et abusé. Désormais, il faudra à ces derniers de trouver autre chose pour faire de l'audience. D'ailleurs, l'annonce de ces lettres anonymes désormais destinées au broyeur a été chaudement applaudie au point où tout le monde s'est levé. Le milieu des affaires vient d'être débarrassé d'un «cancer» paralysant. Place au travail, à la création, à l'investissement et à l'enrichissement licite!