Dans la lettre adressée par Jacques Chirac à Abdelaziz Bouteflika, il faut faire la part des choses et distinguer entre ce qui est protocolaire et ce qui est essentiel. Le protocolaire porte sur la réponse donnée aux différents «messages d'amitié» que Bouteflika avait eu la courtoisie de lui adresser lors de «récents survols de la France». A ce niveau de la représentation étatique, les échanges épistolaires font partie de l'activité habituelle et du déroulement normal des choses, et il y a tout un service qui s'en occupe. Font partie du même registre les voeux exprimés par Chirac «à l'aube de la nouvelle année, pour le peuple algérien et pour la prospérité de votre pays». En revanche, les deux points forts de la lettre ont trait, d'un côté, à la signature de l'accord d'association entre l'Algérie et l'Union européenne, à propos duquel Chirac considère que «le paraphe de ce document constitue une étape très importante dans le développement des relations bilatérales entre votre pays et l'Union européenne», et d'un autre côté, à la courte visite de Chirac à Alger le 1er décembre dernier, le président français relevant, à juste titre, qu'il avait fait l'objet d'un accueil chaleureux de la part des habitants de Bab El-Oued. A propos du premier point, on notera que l'accord d'association fait entrer l'Algérie de plain-pied dans une nouvelle vision des rapports qu'elle entretient avec la communauté internationale, notre pays traînant comme une casserole une spécificité au long cours, un peu comme un zèbre au milieu d'un troupeau de chevaux. Ancien allié du pacte de Varsovie, monoexportation hydrocarbures, faiblesse et déstructuration du secteur agricole, nullité du tourisme malgré des potentialités énormes, existence d'un tissu industriel non négligeable, législation inadaptée adoubée d'une bureaucratie tentaculaire, avec prédominance d'un secteur public pléthorique, autant d'atouts et de boulets aux pieds desquels est venue se greffer, depuis maintenant une décennie, une situation sécuritaire catastrophique, et qui font notre fameuse spécificité. L'accord d'association avec l'Union européenne et la prochaine adhésion à l'OMC obligeront nos administrations et nos entreprises à se mettre à niveau, si elles veulent être au rendez-vous de la zone de libre-échange qui se profile à l'horizon 2012 entre les rives Nord et Sud de la Méditerranée, tout en prenant garde à ne pas rééditer l'exemple argentin. Et là, la position privilégiée qu'occupe la France au sein de l'Union européenne autorise le président Chirac à donner son avis sur la question. Pour les dirigeants européens en général et le président français en particulier, la signature de l'accord d'association, dans laquelle le Président Abdelaziz Bouteflika a pesé de tout son poids, offre une meilleure lisibilité de la politique économique algérienne et une visibilité améliorée de ses relations extérieures. L'autre point sur lequel revient le président Chirac a rapport à «l'accueil si chaleureux que vous même et les Algérois m'avez réservé le 1er décembre». Il y a beaucoup à dire sur cette visite éclair du président français à Alger. On rappellera qu'après bien des déboires et des relations diplomatiques en dents de scie, notamment l'annulation de la rencontre à New York entre Liamine Zeroual et Jacques Chirac, Abdelaziz Bouteflika avait effectué une visite d'Etat à Paris en l'an 2000. Bien qu'il fût accueilli en grande pompe dans la capitale française, le Président algérien n'avait pas caché sa déception en déclarant: «Je repars les mains vides.» On avait espéré alors de ce côté-ci de la Méditerranée que Jacques Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin accepteraient de se rendre à Alger vers le mois de juin 2001 pour réparer, quelque peu, les déboires du chef de l'Etat algérien, qui ne faisait qu'exprimer tout haut ce que les Algériens pensaient tout bas. Et puis, il y eut une série de publications en France relançant de plus belle la fameuse question «Qui tue qui?» et plaçant sur un pied d'égalité la victime et le bourreau, et ont mis sur la sellette les autorités algériennes, jusqu'à ces fameux attentas du 11 septembre aux Etats-Unis, qui ont changé la carte du monde. Et c'est justement à l'occasion des consultations liées à la guerre en Afghanistan et à la lutte antiterroriste que Chirac programme une visite éclair à Alger, inscrite dans le cadre d'une tournée qui devait lui permettre de se rendre en deux jours dans les trois capitales maghrébines. C'était bien court par rapport à ce qu'on avait souhaité à Alger. Cependant l'accueil chaleureux réservé par les habitants de Bab El-Oued, durement touchés par les intempéries du 10 novembre et l'insistance du Président Bouteflika à retenir son hôte pour la rupture du f'tour en cette journée de ramadan ont mis un bémol à cette déception. A la suite de toutes ces péripéties, beaucoup de choses ont changé, et les relations algéro-françaises bénéficieront de tous les éclairages donnés par les événements récents et l'Histoire immédiate.