Emmanuel Macron parle d'invitation. Mais le message du président français, conviant cinq homologues africains à une réunion autour de l'engagement antiterroriste de la France au Sahel, a été perçu comme une dégradante «convocation» par beaucoup, dans les pays concernés. Macron l'a annoncé le 4 décembre: il a invité les présidents du Mali, du Burkina Faso, du Niger, du Tchad et de la Mauritanie à le retrouver le 16 décembre à Pau, la ville du sud-ouest de la France où étaient basés sept des 13 soldats de la force Barkhane tués le 25 novembre au Mali. Il a fermement réclamé de la «clarté» de la part de ses homologues sahéliens sur la présence française au moment où celle-ci suscite une contestation grandissante. Il a évoqué des manifestations anti-françaises, mais aussi des prises de position de ministres et «l'ambiguïté» dont feraient preuve certains gouvernements sahéliens. Il a paru désigner en particulier, le Mali et le Burkina. Macron attend de ses hôtes qu'ils «assument» publiquement, auprès de leurs opinions, le fait que les soldats français sont au Sahel à la demande des pays concernés, et non pas pour des «visées néocoloniales». C'est une «condition nécessaire» et il tirera les conséquences si elle n'est pas remplie,a-t-il ajouté.Barkhane lutte contre les mouvements terroristes qui se sont multipliés depuis 2013 et ont étendu leur champ d'action du nord au centre du Mali et aux Niger et Burkina voisins. Les morts de cette guerre asymétrique se comptent par milliers, les déplacés par centaines de milliers à Bamako, Ouagadougou ou Niamey, une partie des opinions s'agace de l'incapacité imputée aux forces nationales et internationales à venir à bout des mouvements terroristes, quand elle n'attribue pas la dégradation sécuritaire à la présence même des troupes étrangères.Le ministre burkinabé de la Défense, Cheriff Sy, s'était lui-même «étonné», dans l'hebdomadaire sud- africain Mail&Guardian en juin, que les Français, avec les quelque 4.500 hommes de Barkhane et leurs moyens, «n'aient pas été en mesure d'éradiquer cette bande de terroristes». Dans un contexte de tensions exacerbées par les violences, l'ancienne puissance coloniale fait une cible toute désignée, a fortiori quand elle est la force étrangère en première ligne. Et le ton employé par le président français heurte d'autant plus. L'Amicale des anciens ambassadeurs et consuls généraux du Mali a jugé le procédé de M. Macron «particulièrement discourtois».»Espérons que quelqu'un, parmi les chefs d'état convoqués, aura le courage de dire (à M. Macron) que la meilleure façon de les griller aux yeux de l'opinion c'est justement de les convoquer de cette façon», a Moussa Tchangari, une figure de la société civile du Niger.Ibrahim Maïga, chercheur malien à l'Institut des études de sécurité (ISS) à Bamako, convient que l'invitation «sonne comme une convocation» et que davantage d'écoute et de partage avec les partenaires sahéliens aurait peut-être été préférable.«Il a le sentiment que le message s'adresse davantage aux Français et à leur armée.» Depuis 2013, 41 soldats français ont été tués au Mali. La mort récente de 13 militaires a causé un choc dans un pays dont l'armée n'avait pas subi d'aussi lourdes pertes depuis 1983 au Liban, et a soulevé des questions sur l'engagement au Sahel. Paris connaît l'existence, de longue date, de sentiments antifrançais dans la région. Mais il fait ressentir son exaspération alors qu'à l'apparente impuissance des autorités nationales au Sahel, s'ajoute, par exemple la participation de députés maliens à la contestation. En novembre, l'état-major burkinabé, lui, mettait en garde les avions français qui survoleraient intempestivement le territoire. Par ailleurs, la France fait, depuis plusieurs mois, des appels du pied à ses alliés européens pour qu'ils s'impliquent davantage dans la crise sahélienne. Le président français a indiqué vouloir repenser Barkhane «dans les prochaines semaines». Dans une lettre ouverte, l'ancien ministre des Affaires étrangères burkinabé, Ablassé Ouedraogo, a lui aussi trouvé le ton de M. Macron «agacé et agaçant, voire autoritaire». Mais, ajoute-t-il, «il faut reconnaître que par cet acte, le président français tape du poing sur la table et met nos gouvernants face à leurs responsabilités, à leurs incohérences et à leurs inconséquences».