Washington veut surtout renforcer ses liens militaires avec les pays du Maghreb. Le secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld a souligné hier, la volonté des Etats-Unis de renforcer les relations militaires avec la Tunisie, l'Algérie et le Maroc. «Nous entretenons diversement avec ces trois pays des rapports militaires que nous apprécions et voulons renforcer», a-t-il déclaré dans l'avion à bord duquel il est arrivé samedi à Tunis, première étape d'une tournée comprenant aussi l'Algérie et le Maroc. Le secrétaire américain à la Défense, qui venait de Sicile (Italie), a salué les trois pays maghrébins comme des «partenaires constructifs» dans la guerre contre le terrorisme, et que Washington avait des relations «à volets multiples» avec Tunis, Alger et Rabat. Il a aussi indiqué que les questions concernant la lutte antiterroriste seraient, entre autres sujets, au menu des discussions. Rumsfeld a par ailleurs, indiqué que les réseaux terroristes étaient attirés par les «régions ayant de larges zones non administrées, où les gouvernements ont tendance à être plus tolérants à l'égard de l'extrémisme, ce qui n'est pas le cas pour les trois pays du Maghreb». Rumsfeld, qui sera à Alger le mardi, compte beaucoup sur son escale chez Bouteflika pour amarrer l'Algérie de façon définitive aux thèses américaines concernant aussi bien les affaires militaires, les soucis sécuritaires que les opportunités économiques et les divergences qui l'opposent au Maroc. En fait, l'Algérie représente pour Washington une escale très spéciale en ce sens qu'elle constitue un pays «jamais acquis d'avance» et qui a été jusqu'à une date récente l'allié traditionnel de la Russie, hormis le fait que de graves et longues querelles l'opposent au Maroc, principal allié des Etats-Unis dans la région depuis près d'un demi-siècle. Les indices sont déjà là : les Etats-Unis poursuivent, en fait, leur politique d'«occupation de terrain» avec la visite de Rumsfeld, qui va clôturer les pas engagés depuis plusieurs mois avec Alger, et conforter les deux visites inscrites dans l'agenda de la dernière semaine, celles successives, du général Charles F.Wald, adjoint au commandant des forces américaines en Europe, puis de Robert Mueller, le patron du FBI. Premières prémisses sérieuses de cette relation stratégique : le président américain George W.Bush avait déclaré en juillet 2005, dans un message à son homologue Abdelaziz Bouteflika, que l'Algérie était un partenaire de «grande valeur» dans la lutte contre le terrorisme. «L'Amérique continue de compter sur l'Algérie en sa qualité de partenaire de grande valeur dans la lutte contre le terrorisme et dans notre objectif commun de promouvoir la démocratie et la prospérité dans votre région ainsi que de par le monde», avait écrit G.W.Bush. Les événements du 11 septembre eurent le triple impact de fragiliser les Etats-Unis, hantés soudainement par leur sécurité intérieure, de rapprocher Alger de Washington, à la faveur d'une recomposition des priorités militaires américaines et de donner une légitimité à la guerre que menait l'armée algérienne contre le terrorisme depuis une décennie. C'est grâce à ce jeu axé sur les soucis militaires et les impératifs sécuritaires qu'Alger tient aujourd'hui son rôle de «pays allié», «stratégique», et «ami». La visite exceptionnelle de Donald Rumsfeld en Algérie, et qui - il faut le préciser - précède celle de Poutine, aura notamment à «regarder de près» l'état de santé du président algérien. Washington, qui a appuyé Bouteflika depuis 1999, tient encore à renforcer ses relations avec celui qu'elle considère comme «un allié sûr» et ne souhaite pas avoir à gérer une situation «post», dont les rapports confidentiels font état, et qui peut se traduire par un retour à la situation d'avant 1999. Washington, qui a pu aussi fructifier l'après-11 septembre, s'est durablement installée dans la bande sahélo-saharienne où elle suggère que cette «zone grise», véritable ventre mou du Maghreb, est un «no man's land sécuritaire», qui peut facilement servir de rampe de lancement aux groupes djihadistes affiliés à Al Qaîda. Experts militaires et drones ont mis cette zone sous la loupe depuis 2003, date du lancement du plan «Pan-Sahel Initiative» (PSI), puis de Flintlock, qui a clos ses exercices au début de l'année 2005. Les objectifs de Washington sont pour le moment d'ordre principalement militaire. D'où la visite de Rumsfeld. Les forces engagées au Machrek et les pertes qu'elles y subissent renseignent sur la volonté des chefs militaires américains, dont Rumsfeld est un des fers de lance, d'accaparer, en ami et en allié, le Maghreb. Et pour ce faire, la guerre et les pactes de paix semblent être la diplomatie parallèle privilégiée et le gage d'une politique étrangère conquérante.