Le contexte explosif dans lequel est plongée la Libye a eu pour effet de replacer l'Algérie au cœur de l'échiquier régional, tant sur le plan sécuritaire que politique. C'est ainsi qu'un véritable ballet diplomatique a commencé dès hier, avec la venue, à Alger, du Premier ministre Fayez al Serraj, accompagné d'une forte délégation. Etait également annoncé le ministre turc des AE, Mevlüt Cavusoglü tandis que la chancelière allemande Angela Merkel a téléphoné au président Abdelmadjid Tebboune pour lui adresser une double invitation, l'une en sa qualité de chef d'Etat attendu en Allemagne, et l'autre pour une participation très souhaitée à la Conférence de Berlin sur la Libye dont la date attend toujours d'être fixée. Tous ces brusques évènements ont une signification pertinente : la place et le rôle de l'Algérie que d'aucuns ont cherché à écarter méthodiquement du dossier libyen s'est avérée primordiale, aussi bien pour les parties prenantes au conflit que pour les pays qui les utilisent. De par sa constance et sa ferme résolution aux côtés du peuple libyen, l'Algérie n'a pas ménagé ses efforts, dans le cadre de la mission onusienne qu'elle a appuyée sans compter. Les ingérences extérieures ont altéré cette action et conduit la Libye dans une zone des tempêtes qui peut affecter la sous-région maghrébine et le pourtour méditerranéen, dans son ensemble, si l'on n'y prend pas garde. Nul doute que le Président du Conseil présidentiel du Gouvernement d'union nationale (GNA) libyen reconnu par l'ONU, Fayez al Serraj, cherchera à justifier son appel à la Turquie pour contrer l'offensive, devenue pressante, de l'Armée nationale libyenne autoproclamée que dirige le général à la retraite Khalifa Haftar, appuyé par les autorités non reconnues de l'Est et par le Parlement auto-prorogé. En quittant Tobrouk pour s'installer à Benghazi, fief de Haftar, en février 2019, ce Parlement, divisé entre pro Haftar et pro GNA, a clairement signifié son allégeance à l'homme qui entend imposer sa loi à la Libye, sans passer par les urnes. Si la visite d'al Serraj s'inscrit dans le cadre des « concertations permanentes entretenues avec les frères libyens et permettra d'échanger les vues sur l'aggravation de la situation en Libye et d'explorer les voies susceptibles de surpasser cette conjoncture difficile », elle ouvrira aussi la voie à une ou plusieurs initiatives que la diplomatie algérienne pourrait entreprendre auprès des chefs de tribus, de la société civile et des forces paramilitaires qui s'affrontent, au gré des ingérences de certains pays intéressés, politiquement et économiquement. Le fait que l'Algérie retrouve une normalité institutionnelle, avec un président élu en la personne de Abdelmadjid Tebboune, et une volonté de revenir en force sur la scène internationale, explique le brusque intérêt qui motive les visites et les appels dont on peut parier qu'ils vont se multiplier, au cours des prochaines semaines, voire des prochains jours. Le coup de froid qui a tempéré, quelque peu, les relations bilatérales avec Paris n'aura pas duré puisque le président Emmanuel Macron, ainsi que le Premier ministre Edouard Philippe, ont tous deux exprimé, avec une chaleur remarquée, leur volonté d'œuvrer au rapprochement avec Alger, confirmant par-là même que le couple franco-algérien est toujours capable de surmonter les malentendus et les griefs qui agitent parfois une relation aussi solide que pérenne. La visite de Fayez al Serraj aura pour effet de clarifier certains enjeux, l'Algérie ne pouvant admettre que pèse sur sa frontière un risque majeur, de nature à enflammer la région et conduire au remake du scénario syrien. C'est pour cette raison que sera attentivement observée la réunion, à huis clos, du Conseil de sécurité de l'ONU, réclamée samedi par la Russie, et dont la thématique portera sur le double accord controversé entre Tripoli et Ankara, la tenue de la Conférence de Berlin ainsi que l'éventualité d'un embrasement dans la sous-région maghrébine. On retiendra, à cet égard, la concordance de vues entre Alger, d'une part, Berlin et Paris, d'autre part, quant à « l'impératif de trouver une solution politique à la crise libyenne, cesser le conflit armé et mettre un terme aux ingérences militaires étrangères ». Telle est bien la position défendue inlassablement par l'Algérie et suivie avec force, dans le cadre du groupe des pays voisins et de la mission onusienne.