Le coup des caricatures blasphématoires qui a secoué le monde musulman n'est pas un cas d'exception. L'on peut désormais admettre que les caricatures qui ont provoqué le tollé résument l'ambiance de xénophobie qui règne dans un pays dont beaucoup de musulmans ignoraient jusqu'à tout récemment l'emplacement sur la carte. Ils viennent d'en faire une découverte stupéfiante. Petit pays de Scandinavie, d'une population de moins de 5 millions d'habitants, couvert de neige pendant les trois quarts de l'année, il représente un lieu idéal de plaisir et de loisirs. La population musulmane se réduit à quelque deux cent mille âmes dont un dixième d'Algériens qui mènent une vie paisible, sans bruit et sans fard. Ils sont appelés, des fois, à changer de nom pour éviter les tracas ou pour dénicher un emploi dans le pays du froid. L'atmosphère ambiante n'est pas de tout repos. Si on se fie aux correspondances de la presse européenne, notamment française, on se rend compte que les musulmans ne sont pas les bienvenus. Libération nous apprend, à travers des témoignages, qu'il existe un «racisme structurel» au Danemark. Lorsque, par exemple, une femme portant le voile accouche dans un hôpital, l'infirmière écrit automatiquement «analphabète» sur son dossier, sans lui demander son avis. La montée de l'islamophobie remonte à 2001, explique-t-on, c'est-à-dire suite aux événements de septembre. Depuis, les Danois ont épousé les thèses américaines jusqu'à concurrencer nos voisins italiens qu'on connaît mieux pour leur manière de courtiser l'Américain en injuriant le musulman. Devenu partie prenante dans toutes les expéditions américaines en terre d'Islam, le Danemark est passé en si peu de temps de l'autre côté de la barrière, dans une tranchée hostile aux musulmans. Le parti de l'extrême droite, Parti du peuple danois (PPD), a trouvé le moment propice pour s'étendre. Il a connu dès lors son épanouissement en élargissant son audience. A l'image du Front national français, il véhicule un discours xénophobe mobilisateur. La politique d'immigration danoise est devenue la plus restrictive de l'Union européenne, selon l'avis d'un membre du Centre des droits de l'Homme. Le commissaire au droits de l'homme du Conseil de l'Europe considère que «certaines dispositions au Danemark violent les conventions internationales sur le respect des droits de l'Homme et constituent une barrière à l'immigration». En décembre dernier, après publication des caricatures, des écrivains danois ont publié un texte dénonçant la «légalisation des discours haineux». Ils soulignent que «l'injure xénophobe et le manque de respect» prédominent dans le discours public. L'un des signataires use de la formule «déshumanisation de l'étranger» pour exprimer cette hantise de l'autre. Ces intellectuels relèvent à juste titre que «la conséquence inévitable de cette effervescence du débat public a été une normalisation et une banalisation de la xénophobie pour un pan non négligeable de la société danoise au nom même du principe sacro-saint de la liberté d'expression». Cette pratique est fondée sur l'idée de «tolérance zéro», ajoutent-ils, «l'enjeu réel de cette question des caricatures relève d'une entreprise de stigmatisation et de propagande xénophobe et populiste à l'encontre d'une minorité ethnique au Danemark». Et de conclure: «Un minimum de vigilance éthique, de sens des responsabilités et de respect de la différence nous sortirait des méandres de ces pulsions destructrices héritées du temps où l'on justifiait la soumission de certains peuples par le besoin de les civiliser.»