Des enfants courant dans la rue avec des pierres, des enfants hurlant la haine à pleins poumons, des enfants en rangs militaires, des adultes vociférant, s'en prenant à des ambassades, brûlant des drapeaux, exigeant la mort des dessinateurs. Voilà la treizième caricature. Celle qui fait le plus de mal aux « musulmans ». Beaucoup plus que les dessins, bêtes et méchants, dénués de tout talent, des caricaturistes danois. Que les caricatures montrant le Prophète avec une bombe en guise de turban ou avec un poignard soient offensantes, blessantes, humiliantes et volontairement provocatrices, on ne peut qu'en convenir. Sans ce tapage médiatique, elles seraient tombées dans l'oubli, passées à la trappe de l'incompétence. Seulement voilà, « la rue musulmane », alimentée par les islamistes ou les pouvoirs en place, s'est emportée. Au blasphème, est venu se greffer le ressentiment. Que l'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas un combat entre la liberté d'expression et la dictature verte. Les deux caricatures incriminées peuvent s'apparenter en effet à un racisme abject, brut, dénué de toute subtilité. Elles relèvent au mieux du mauvais goût. Faut-il pour autant donner cette image dégradante d'un monde musulman malade, enfermé, susceptible, immature ? Il faut savoir raison garder. Et savoir relativiser. Des personnes sont mortes en Afghanistan et ailleurs en protestant contre ces caricatures. La rue musulmane est instrumentalisée. Quel est donc cet univers musulman incapable de répondre avec intelligence, mesure ? Pourquoi répondre par des fatwas et des prêches enflammés à ce qui n'est qu'un dessin, un livre, un article ? Il n'y a que deux démocraties dans le monde musulman, le Mali et le Sénégal. Les deux seuls pays épargnés par cette colère. A l'autre extrémité, l'Iran, Etat théocratique, et la Syrie, à l'origine de l'invention de la République monarchique, ont jeté l'huile sur le feu. En choisissant la rue au lieu des tribunaux, islamistes et gouvernements musulmans ont choisi de rentabiliser politiquement l'indignation légitime de ceux qui en ont été affectés. Avec tous les risques de dérapages. Les seuls gagnants dans toute cette affaire, ce sont l'extrême droite européenne et les islamistes, les deux rêvant d'une guerre de civilisations. Quid de la presse ? Des journalistes jordaniens ont été mis en prison, car ils ont donné à voir. La presse arabe et musulmane s'honorerait à se battre pour leur libération. Au nom de la liberté d'expression. Combien de manifestants ont-ils vu ces caricatures ? Combien, il y a quelques années, de manifestants ont-ils lu Salman Rushdie ? Il est temps que la raison revienne. Enfin.