Trois roquettes ont frappé dimanche, pour la première fois directement, l'ambassade américaine à Baghdad, pendant qu'à travers l'Irak des milliers de manifestants antigouvernementaux défiaient les forces de sécurité qui ont tiré à balles réelles, faisant deux morts. Quelques heures après les tirs, les Etats-Unis ont «appelé le gouvernement de l'Irak à remplir ses obligations, afin de protéger (leurs) installations diplomatiques». Ces tirs de roquettes s'ajoutent à la série d'attaques ayant visé ces dernières semaines l'ambassade américaine, située dans la Zone verte ultra sécurisée de Bagdad, et des bases irakiennes abritant des soldats américains. Aucune n'a été revendiquée mais Washington a plusieurs fois accusé des milices pro-Iran. Une roquette s'est écrasée dimanche sur une cafétéria de l'ambassade à l'heure du dîner tandis que deux autres se sont abattues à proximité, a déclaré une source au sein des services de sécurité. Au moins une personne a été blessée dans l'attaque, a indiqué un haut responsable irakien ayant requis l'anonymat. Il n'était pas possible dans l'immédiat de connaître la nationalité de la victime. Le porte-parole du Département d'Etat américain a précisé dans un communiqué que, depuis septembre, «il y a eu plus de quatorze attaques menées par l'Iran et les milices soutenues par l'Iran contre du personnel américain en Irak». Le Premier ministre irakien Adel Abdel Mahdi a dénoncé une «agression» qui pourrait «transformer l'Irak en zone de guerre». Fin décembre, un sous-traitant américain a été tué par un tir de roquettes sur une base dans le nord du pays. En représailles, Washington a mené des raids aériens le 29 décembre contre plusieurs bases des brigades du Hezbollah, un groupe armé chiite irakien membre du Hachd al-Chaabi, coalition de paramilitaires dominée par des factions pro-Iran et intégrée aux forces régulières. Au moins 25 combattants des brigades du Hezbollah ont été tués dans les frappes et, le 31 décembre, des milliers de leurs partisans ont attaqué l'ambassade américaine. Environ 5.200 soldats américains sont stationnés en Irak pour mener la coalition antiterroriste. Le sentiment antiaméricain dans le pays s'est ravivé après la mort du général iranien Qassem Souleimani et de son lieutenant irakien Abou Mehdi al-Mouhandis, tués dans une frappe de drone américaine à Baghdad le 3 janvier. Le puissant leader chiite Moqtada Sadr a organisé vendredi à Baghdad un rassemblement de ses partisans pour réclamer le départ des troupes américaines. Des milliers d'étudiants faisant le V de la victoire et brandissant le drapeau irakien ont à nouveau envahi dimanche des rues et des places de Baghdad et de plusieurs villes du sud du pays. Dans la ville sainte de Kerbala, un manifestant avait écrit sur une pancarte: «Seulement pour toi, Irak!», en référence au refus du mouvement de toute récupération par les partis politiques ou puissances étrangères. A Nassiriya, une autre ville du sud, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles pour disperser les manifestants. L'un d'eux a été tué et des dizaines d'autres ont été blessés, selon une source médicale. Quatre manifestants ont été tués samedi à travers le pays. Dans la capitale irakienne, les forces de sécurité ont de nouveau tiré dimanche à balles réelles pour disperser de petits rassemblements sur les places Khallani et Wathba, près de la place Tahrir, épicentre de la contestation, selon une source policière. Les manifestants ont lancé des pierres ou des cocktails Molotov sur la police antiémeute. Un manifestant a été tué par balles dans la capitale, selon une source médicale. Au moins dix-sept autres ont été blessés, dont six par balles, a indiqué une source policière. A Bassora, à l'extrême sud du pays, des centaines d'étudiants ont protesté contre le démantèlement de leur campement par les forces antiémeute la veille. Depuis le 1er octobre, ce mouvement inédit dominé par la jeunesse a été émaillé de violences qui ont fait au moins 470 morts, en grande majorité des manifestants, selon des sources médicales et policières. Après avoir dénoncé dans un premier temps le manque d'emplois et de services et la corruption endémique, la contestation réclame désormais des élections anticipées et un Premier ministre indépendant. En décembre, le Parlement a approuvé une nouvelle loi électorale et, sous la pression de la rue, le Premier ministre Adel Abdel Mahdi a démissionné. Mais il continue de gérer les affaires courantes, les partis politiques ne parvenant pas à s'entendre sur un successeur. Cette impasse a été dénoncée samedi par la représentante de l'ONU en Irak Jeanine Hennis-Plasschaert. Selon elle, «l'indécision» actuelle est «indigne des espoirs des Irakiens exprimés courageusement depuis quatre mois».