Le chef de l'Etat a reconnu que le terrorisme n'est pas définitivement anéanti. Si l'on juge par les propos de Abdelaziz Bouteflika, le prochain référendum sur la paix et la réconciliation nationale n'est qu'une énième étape pour la réalisation du grand pardon, soit d'une possible amnistie générale. En s'exprimant, hier au cours d'une double cérémonie organisée au siège de la cour suprême, à l'occasion de l'installation du Conseil supérieur de la magistrature et la sortie d'une promotion d'élèves magistrats, le président de la république a clairement affiché son intention de consolider sa démarche dans le futur. Si la politique du tout sécuritaire menée auparavant constitue à ses yeux un cuisant échec, les puissances étrangères, dans leur combat acharné contre le terrorisme aujourd'hui, ne sauraient imposer leur propre remède à l'Algérie. Devant être exclusivement interne, la solution, selon le chef de l'Etat, passe par le consentement du peuple dont il loue les qualités magnanimes. Qualifiant l'ensemble des algériens de “sinistrés de la tragédie nationale”, il ne distingue pas de coupables directs. Pour le président, la responsabilité de la crise incombe à ses prédécesseurs, dont il dénonce “l'aventurisme et l'opportunisme”. “L'anarchie, les convoitises et les dépassements ont encouragé le crime organisé, le terrorisme” Il est une constante dans le discours de Abdelaziz Bouteflika : les responsabilités sont diluées. En se penchant sur les origines du terrorisme, il a déploré des pratiques et une gestion politique ayant entraîné la déliquescence de l'Etat et favorisé l'émergence d'idées obscurantistes et la multiplication de leurs promoteurs qu'il a qualifiés de “têtes de diables surgis de l'enfer et nourris de rancœurs destructrices et d'une haine meurtrière”. “Cette plaie profonde”, soit la fracture sociale et l'ébranlement de l'édifice institutionnel, a fragilisé davantage l'image de l'Algérie et son poids à l'étranger, a admis le chef de l'Etat. Exacerbant la foi et le patriotisme de son auditoire, il poursuivra en vilipendant outre les terroristes, les animateurs d'une cinquième colonne, qui ont aidé à la restauration d'une tutelle sur notre pays pendant les années de feu. “Des agents à la solde de l'étranger militaient pour une intervention extérieure” Abdelaziz Bouteflika a pris un air indigné en faisant cette observation. Toute ouie, l'assistance composée du gotha politique, dont le président du sénat, le chef d'état-major de l'ANP, l'ensemble de l'exécutif et de hauts magistrats est restée silencieuse. Elle fera l'économie des applaudissements quand, par la suite, il évoquera avec grands éloges la résistance de “notre peuple glorieux à travers ses forces vives contre le terrorisme, dont l'ANP, les autres corps de sécurité, ses élites et la société civile”. “L'épreuve était une leçon douloureuse”, a souligné le président. Les enseignements que les algériens doivent tirer du drame de la décennie noire sont appelés à se conformer aux siens. Pour cause, si la lutte contre les manifestations du terrorisme est à ses yeux “une nécessité urgente”, elle doit néanmoins s'accompagner de l'exigence d'extirper les germes de la violence. “Nous continuerons à combattre le terrorisme sans répit” S'il y a un fait incontestable aujourd'hui, c'est que l'Algérie a joué un rôle d'avant-garde dans la lutte contre le terrorisme. “Nous étions les premiers à prévenir les Etats sur son aspect international, avant qu'ils ne s'aperçoivent de ses dangers. Nous avons accompli ce qu'il fallait et nous continuons à le combattre sans répit”, a insisté le chef de l'Etat. À ce propos, il a bien dû se rendre à l'évidence que le mal “n'est pas définitivement anéanti”. Cependant, son rappel a valeur de mise au point. Si aujourd'hui, des puissances comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne prônent une guerre sans merci contre les émules de Ben Laden, l'Algérie qui a livré bataille seule aux groupes armés n'est guère obligée de se conformer aux directives des puissants. “Chaque pays a son propre terrorisme et sa propre solution” Faisant fi de la stratégie arrêtée au plan international, Abdelaziz Bouteflika œuvre pour le règlement spécifique de la crise algérienne. “La solution doit venir de l'intérieur de l'Algérie et non pas de l'extérieur”, préconise-t-il. Pour autant, bien que la réconciliation soit le choix arrêté intra-muros, le chef de l'Etat est amplement disposé à faire bénéficier les Etats en guerre contre le terrorisme de notre expérience dans ce domaine. Mais, cela reste une préoccupation secondaire. Sa principale mission, comme il le martèle, est de réconcilier les algériens entre eux. “Je suis venu pour promouvoir la paix et la concorde. Je suis un homme de franchise et de réconciliation”, s'est qualifié le président tour à tour. Son message s'adresse, d'une part, aux “égarés” qu'il invite à revenir dans le droit chemin, et le reste du peuple qu'il exhorte à faire preuve de mansuétude comme lors du référendum sur la concorde civile en 1999, d'autre part. Confiant, il assure que “les bras des algériens sont ouverts pour accueillir tous ceux qui n'ont pas commis de grands crimes et veulent renouer avec leur famille en toute sincérité”. “Quiconque veut la paix dans le cadre de la loi, nous trouvera à ses côtés”, a garanti le premier magistrat du pays. Pour mieux convaincre les électeurs de plébisciter sa charte, il fait une brève rétrospective du chemin parcouru depuis l'application de la loi sur la concorde civile, grâce notamment à la restauration graduelle de la sécurité. De telles avancées lui permettent de nourrir des ambitions sur une démarche de réconciliation plus globale, qu'il compte appliquer dans l'avenir. “Je suis déterminé à poursuivre jusqu'à l'instauration d'une réconciliation globale” Si le président n'est pas allé jusqu'au bout de sa logique, soit la mise en œuvre d'une amnistie générale, c'est en raison de deux facteurs : d'abord son souci “de préserver les équilibres internes” et son insistance à ce que le peuple s'imprègne graduellement de sa politique. “La réconciliation est un objectif à long terme. Il y a eu la politique de la rahma, ensuite la concorde civile. Il faut qu'il y ait des intervalles pour que le peuple assimile (ma politique, ndlr) avant de lui administrer une nouvelle dose”, a expliqué M. Bouteflika et d'ajouter : “Je ne considère pas que nous ayons trouvé des solutions à tous les problèmes. À chaque chose suffit sa peine. Nous poserons les problèmes et nous leur trouverons des solutions graduellement.” Ensuite, l'idéal à ses yeux consiste à ce que “les gens aussi différents qu'ils soient s'assoient autour d'une table sans que les uns tirent leurs pistolets et les autres leurs poignards. Cela demande beaucoup de temps et nous devons commencer maintenant”. Samia LOKMANE