Plus un soldat tchadien au front hors des frontières: le président Idriss Déby Itno, qui estime faire cavalier seul dans la lutte contre Boko Haram, l'a promis vendredi. Quelles conséquences aurait le repli d'une armée qui se targue d'être le fer de lance du combat contre le terrorisme? De ses frontières avec le Soudan et la Centrafrique jusqu'au Mali, l'armée tchadienne multiplie les alliances régionales et bilatérales. Objectif pour le président Déby, protéger ses frontières de ses voisins turbulents, mais également justifier sa légitimité de guerrier arrivé au pouvoir par les armes il y a 29 ans. A plusieurs reprises, ces dernières années, l'homme fort du Tchad s'est agacé publiquement que son armée se batte «seule» au Sahel et sur le Lac Tchad. «Le fait est que l'armée tchadienne est l'une des meilleures de la région. Déby le sait, et en joue avec ses partenaires», souligne un diplomate sahélien établi à Ouagadougou. Cette armée participe à la Force multinationale mixte (FMM) qui combat depuis 2015 le groupe terroriste Boko Haram, apparu dans le nord-est du Nigeria mais désormais très établi dans le bassin du lac Tchad, à la frontière avec le Niger et le Cameroun. Mais le pays fournit également des troupes à la Minusma, la Mission des Nations unies au Mali, et fait partie de l'organisation régionale G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), qui a officiellement lancé en 2017 sa force conjointe pour lutter contre les groupes terroristes. En janvier, le président tchadien avait même accepté lors du sommet de Pau (sud-ouest de la France) d'envoyer un bataillon supplémentaire de 480 hommes dans la région des «trois frontières» entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, au sein de la force du G5 Sahel. Un soutien parfois loin de ses frontières qui n'est pas purement altruiste: le Tchad, pays pauvre malgré de modestes ressources pétrolières, s'est créé une «rente liée aux opérations extérieures» auprès de ses partenaires, notamment la France, qui est cruciale pour le pouvoir, explique Ibrahim Maïga, chercheur à l'Institut d'études de sécurité (ISS). Mais le 23 mars, une attaque de Boko Haram sur la presqu'île de Bohoma, au Tchad, coûte la vie à une centaine de militaires tchadiens, la plus lourde perte de l'armée en une journée. Selon plusieurs officiers qui ont demandé à garder l'anonymat, la base, à quelques heures de N'Djamena, manquait d'hommes car certains devaient être redéployés hors du pays au sein de la force du G5 Sahel. Par le passé, le président Déby a menacé de retirer l'armée tchadienne des opérations sous-régionales, sans toutefois passer à l'acte. Mais «ce qu'il s'est passé sur les rives du Lac Tchad est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase», déclare Jean-Bernard Padaré, ancien secrétaire général de la présidence tchadienne et porte-parole du parti au pouvoir. «On aurait souhaité avoir le concours, l'appui, des pays concernés, notamment le Niger et le Nigeria, mais nous avons constaté malheureusement qu'ils n'ont pas bougé», dit-il. «Tant que les chefs d'Etat ne s'accordent pas sur le principe de solidarité, il serait très difficile désormais de nous engager seuls, dans le cadre du G5 Sahel et de la sous-région d'une manière générale», a déclaré le porte-parole du gouvernement tchadien, Oumar Yaya Hissein. Selon lui, en revanche, les militaires tchadiens déployés «au Mali dans le cadre de la Minusma ne seront pas concernés». L'annonce du président Déby concerne en particulier «les bataillons tchadiens du G5 Sahel», insiste pour sa part M. Padaré. Une déclaration lourde de conséquences pour la force du G5 Sahel, où le bataillon tchadien aurait été le premier d'un Etat membre déployé de façon permanente hors de ses frontières. Ce bataillon devait prêter main forte aux forces déjà présentes dans la zone, «y compris les soldats de Barkhane», a indiqué un officier de l'opération française début 2020. Contactés samedi, ni le ministère français des Armées ni l'état-major de la force conjointe du G5 Sahel n'ont fait de commentaire. Une partie du bataillon tchadien en cours de déploiement était samedi stationnée dans le centre du Niger, en attente d'instructions, selon une source au sein du G5 Sahel. Déjà décriée pour son manque de résultats, cette force «vient encore de prendre un coup symbolique», selon un observateur à Bamako, estimant que «la force conjointe est une coquille de plus en plus vide».