«Après l'époque du désespoir,voici venir la pire époque du chagrin.» Malek Haddad Une fois de plus l'université à travers ses «gardiens du Temple» que sont les enseignants, crie sa détresse. Souvenons-nous, pour l'histoire, de ce responsable qui invitait les enseignants à prendre leur «chanta», entendez par là «valise», s'ils ne sont pas contents, du fait de leur grève. Il avait menacé de fermer l'université algérienne parce que les enseignantes et enseignants avaient osé bravé l'«ordre» en demandant un peu plus de dignité et de moyens à un gouvernement qui ne leur reconnaît pas un rôle majeur dans la formation des élites. Au passage, l'université et ses convulsions ne constituent pas un thème porteur, pratiquement personne, ni syndicat ni parti politique ne se sentent concernés par la détérioration inexorable de l'université. A-t-on alors besoin de l'université? Dans un article dans ce même journal, j'avais pointé du doigt les vrais problèmes de la communauté universitaire tenue soigneusement en marge des profondes mutations du pays. Elle n'est pas du tout associée à la dynamique de développement, «si tant est qu'il en existe un». Par ailleurs, s'agissant des rémunérations, chaque département ministériel prêche pour sa chapelle avec des critères basés plus sur le poids social ou la capacité de nuisance. Cependant et on ne le criera jamais assez, on ne peut que dénoncer le hold-up s'agissant du salaire de nos chers élus. Pourtant, dans l'histoire des relations humaines le salaire peut revêtir l'aspect du troc. Il fut une époque où les communautés qui vivaient en autarcie échangeaient des capacités de travail évaluées le plus justement possible en fonction de l'effort réalisé et de l'utilité du travail réalisé; en un mot en fonction de l'apport à la communauté. Ce bref rappel sur la symbolique du salaire juste est totalement ignoré dans le pays. Les salaires sont en général distribués selon l'allégeance à la caste, au clan, à la ‘acabbya au sens de Ibn Khaldoun. Cette même formule est aussi mise en oeuvre quand il s'agit de «calmer les classes dangereuses». La rétribution est, naturellement, indexée sur la capacité de nuisance de la classe ou de la niche de privilégiés. Chacun pour soi En Algérie, il est honteux de dévoiler les salaires, on ne sait pas a priori combien gagne, invisibles compris, un ministre, un député, un cadre des grandes sociétés nationales et à quel niveau il faut placer la compétence. Si elle doit être placée à un poste donné en fonction d'un pouvoir discrétionnaire, d'un caprice du prince du moment, ou d'une compétence réelle pouvant être irremplaçable à son niveau. S'agissant du secteur privé, les salaires obéissent à une autre logique dont seuls les patrons ont le secret. A titre d'exemple, ailleurs dans les pays «démocratiques», les salaires de tout un chacun sont publiés et une cohérence d'ensemble préside à l'architecture de l'éventail des salaires. A l'intérieur d'un même corps et entre les différents corps, les proportions sont acceptées. C'est dire si une nouvelle vision globale de la «rétribution du mérite» doit être élaborée pour respecter les grands équilibres visant à la pérennité des institutions de l'Etat. L'approche concernant les salaires «octroyés» obéit à une philosophie de la Fonction publique qui date du XIXe siècle. Le verrou de cohérence maintenue à une époque donnée par la Fonction publique a sauté avec le SGT. C'est «le sauve qui peut» ou plutôt le «chacun pour soi». C'est dire si l'approche corporatiste des syndicats et des lobbys des corporations tient au statu quo et à des privilèges acquis à la belle époque des «acquis de la révolution». L'université algérienne qui est venue en dernier sur l'échiquier social étant la dernière, c'est on l'aura compris, la plus mal lotie. Ses composantes spécifiques-il s'agit des enseignants- sont devenues, par la force des choses, les parents pauvres. De temps à autre, on leur lance des miettes pour les calmer jusqu'à la prochaine éruption. On ne s'occupe naturellement pas de leur détresse au quotidien. La grande erreur est que nous sommes sur le bord de la route en train de voir passer à grande vitesse le train mondial des mutations et des représentations de la gestion de la cité. Même le personnel politique en place, croit se dédouaner «en débauchant» un enseignant ou un universitaire pour se donner une légitimité de façade, cela fait bien sur une liste électorale. Nous en sommes arrivés à faire perdurer la tristement célèbre «attestation communale» qui a fait tant de mal au pays. A telle enseigne que le «Douctour» a remplacé la mythique «attestation communale»- ancien sésame pour le «nirvana»-, comme faire-valoir -durant les élections- au sein de partis politiques en panne de projet ou d'alternative crédible. Naturellement, nous nous défendons de faire le procès de ces anciens enseignants qui ont choisi une voie plus lucrative pour «arriver socialement». La seule certitude est que leur sacerdoce à l'université n'était pas bien chevillé au corps. Le temps est venu à tous les niveaux de l'Etat de faire place au mérite. Il serait sage qu'un état des lieux sans complaisance soit fait pour donner à chacun son dû en fonction de son apport réel à la société, et non pas en fonction de sa capacité de nuisance, de ses allégeances ou encore en fonction d'un équilibre régional à respecter. En tout état de cause, indépendamment des circuits informels de promotion qu'il faut, naturellement bannir, le diplôme ne doit pas être le seul critère d'évaluation. Ce qui compte, c'est le rendement et l'efficacité. Cela suppose, on l'aura compris, une évaluation périodique et une remise en cause de tous les instants, tant il est vrai qu'aucun diplômé n'aura de légitimité permanente. Se remettre en cause devrait être la seule façon de progresser, voire d'être maintenu à son poste. L'efficacité d'un cadre d'entreprise, d'un chirurgien, d'un professeur doit être jugée à sa production, au nombre d'opérations réalisées, au nombre de publications et thèses encadrées et soutenues. Il est immoral de mettre tout le monde dans le même sac. Naturellement, cette démarche gêne les «rentiers» qui misent sur l'opacité. Les enseignants appellent depuis toujours à une vision nouvelle d'université qui aboutira naturellement sur un nouveau statut pour les enseignants du supérieur ainsi qu'une revalorisation sociale. Cette demande nous paraît légitime pour plusieurs raisons. Les enseignants sont invisibles dans l'échelle des valeurs. L'absence de toutes perspectives d'avancement accroît la détresse du fait que la vitesse de détérioration des conditions de vie (coût de la vie) est supérieure aux rares miettes conjoncturelles octroyées à titre symbolique. S'il est important que la société reconnaisse aux enseignants un rôle majeur dans la formation du diplômé de demain, capable de se déployer sans peine dans un environnement mondial de plus en plus hostile, encore faut-il raison garder, nous autres enseignants, nous devons être des repères au quotidien pour nos étudiants et pour la société qui nous regarde. Nous devons trouver en nous-mêmes le courage nécessaire pour faire notre autocritique, en dénonçant ceux qui démonétisent par leur façon d'être la fonction d'enseignant. Nous nous devons de respecter l'effort et le mérite, la sueur et les résultats sur le «terrain». Il n'y a pas d'avenir pour un gouvernement qui déclare par son intransigeance la guerre à l'intelligence. A bien des égards la perception de la communauté universitaire par la société est ambiguë du fait d'un battage médiatique sur ordre visant à diaboliser l'enseignant «ce pelé, ce galeux d'où viennent tous nos maux». En définitive, il n'est pas moral que d'un côté, on dise qu'il faut travailler et produire pour mériter une augmentation de salaire sans faire de l'autre un réétalonnage de l'apport réel de chacun, apport qui sera indexé sur le salaire. Mettons tout à plat, nous aurons des surprises pour savoir quels sont ceux qui produisent et ceux qui vivent à l'ombre de rentes diverses, acquis des ancêtres, ‘accabya, classes dangereuses. Une semaine de pétrole Ceux qui ont en charge le destin du pays savent pertinemment qu'il n'y a rien de plus fragile que le savoir, du fait de son éphémérité et qu'un dysfonctionnement de l'université dû entre autres, à la malvie de ses enseignants, déteint indubitablement sur la qualité de la prestation pédagogique et partant, sur la valeur de nos diplômés. Nous avons besoin de savoir en définitive ce qui est attendu de l'université et de nous. Sans vouloir se comparer aux universités européennes, l'exemple le plus serein nous vient des universités de nos voisins immédiats. «Là-bas, c'est un honneur que d'être enseignant à l'université», nous sommes jaloux de la considération sociale dont jouissent nos collègues au plan social en termes de dignité de toute la société et des dirigeants et, au plan pécuniaire - ils n'ont pas de pétrole, mais ils respectent l'intelligence- les salaires sont autrement plus justes. Il est vrai que l'université est dans ces pays le moteur du développement, elle n'est pas tenue soigneusement à l'écart. Nous implorons les décideurs de se pencher sur la formation de l'élite avant qu'il ne soit trop tard. Il faudrait tout d'abord lever la suspicion, le mépris mal placé envers les universitaires. Il nous faut aussi un véritable plan Marshall pour sauver l'université. Il faut savoir que l'étudiant coûte à la collectivité 100.000 DA par an soit en moyenne cinq à sept fois que le coût d'un étudiant en Europe. Il est utopique, de ce fait, d'attendre des miracles. Pourtant il faut savoir aussi que tout le budget de l'enseignement supérieur représente à peine le montant d'une semaine de recettes pétrolières. En clair, tout l'avenir scientifique et culturel du pays peut être cerné en 7 jours de rente pétrolière. Si on décidait d'une façon souveraine avec, j'en suis sûr l'assentiment de la société,- au besoin par un vote sur les moyens à mettre pour disposer «d'une université de qualité» en augmentant seulement le nombre à 10 jours de recettes pétrolières, nous verrons alors une université apaisée, une production intellectuelle, un coup d'arrêt à la fuite des cerveaux, un retour de confiance dans la hiérarchie des valeurs. Nous n'aurons alors plus besoin d'importer des coopérants que l'on paierait en euros et en dinars, approfondissant ainsi le désarroi des enseignants restés à demeure. Il ne tient qu'à nous, nous n'avons pas le droit à l'erreur. Dans cette affaire, il n'y a pas d'amour-propre et de velléités de briser les enseignants. Pensons à l'Algérie, c'est en définitive de cela qu'il s'agit.