Le docteur Aïche-Kadra est un médecin réanimateur au CHU Frantz-Fanon de Blida. C'est dans ce service que les cas les plus graves de personnes infectées par le Covid-19 sont traitées. Ce maître-assistant nous parle de son combat quotidien contre cette maladie. Il nous parle également de ses appréhensions avec la recrudescence du virus, constatée depuis une dizaine de jours. Il n'omet pas de lancer un appel fraternel à ses compatriotes pour faire preuve de plus de vigilance. Appréciez cet entretien riche en émotions... L'Expression: Bonjour docteur, quelle est la situation épidémiologique qui prévaut actuellement au CHU de Blida? Docteur Aïche -Kadra Sidali: Ça augmente! Depuis une dizaine de jours, on a commencé a ressentir une certaine pression au niveau du CHU Frantz-Fanon de Blida. Le nombre de personnes qui viennent consulter pour des symptômes de Covid-19 a explosé. Le nombre de malades hospitalisés a également connu une nette augmentation. Notre service anesthésie et réanimation accueille aussi beaucoup plus de patients. Il faut savoir que ce service est celui où sont traités les cas graves. La situation s'était pourtant stabilisée au début du mois en cours. La pression sur le CHU de Blida avait nettement diminué, mais là on a vraiment peur d'un retour à la case départ. Cela commence à devenir très inquiétant. Justement docteur, la situation actuelle est-elle pire que lors du «pic» de la pandémie aux mois de mars-avril? Je ne sais pas si c'est comparable. Car pour le moment, il y a certes, plus de cas détectés, mais le nombre de morts a, lui, diminué. Il faut aussi comprendre que l'augmentation actuelle du nombre de personnes contrôlées positives est due à l'augmentation du nombre de tests effectués chaque jour. Ce n'est pas le même nombre qui était effectué au début de cette crise sanitaire. Logiquement, on a actuellement plus de capacités de dépistage. On ne peut donc pas savoir s'il y a plus de cas maintenant qu'en mars. N'empêche que le constat est là: nos hôpitaux se remplissent peu à peu. On a peur de faire face à une seconde vague qui risquerait d'être catastrophique. - Quelles sont, selon-vous, les raisons de la recrudescence de l'épidémie? Les causes sont très claires. Il s'agit principalement du non-respect des mesures d'hygiène et de distanciation sociale. Le port du masque n'arrive toujours pas à se vulgariser auprès de nos concitoyens. Jusqu'à aujourd'hui, il y a encore des personnes qui continuent de se serrer la main ou se faire la bise ne croyant pas à l'existence de ce virus. Même celles qui étaient strictes dans l'application des recommandations sanitaires se sont quelque peu relâchées. Il y a, d'ailleurs, un grand relâchement au sein de la population. Même les associations et la société ne sont plus actives comme au début de cette crise sanitaire. Les Algériens semblent s'être habitués à vivre avec et ce virus ne fait plus peur comme avant. Or, le virus lui n'a pas pris de répit. Il continue à circuler dans la population emportant avec lui chaque jour des dizaines d'âmes. Les gens doivent comprendre que s'ils ne font pas attention, on court droit vers une grande catastrophe... Quelle réponse doit-on apporter face à ce retour en force du virus? Je ne vais pas passer par quatre chemins. Je fais partie des partisans d'un reconfinement partiel ou une augmentation des horaires du couvre-feu. Il faut diminuer la circulation de la population. Le relâchement des citoyens n'est pas le seul responsable de la situation actuelle. Je pense que nous avons déconfiné trop tôt avec le retour de certaines activités commerciales et des transports dans des régions où le virus est encore trop présent. Nous avons autorisé des activités à risques alors qu'elles ne sont pas vitales. Il y a également le fait de ne pas avoir demandé aux entreprises de privilégier le télétravail pour avoir moins de monde dans les rues et les transports publics. Je pense donc qu'un renforcement des horaires du couvre-feu est nécessaire. Toutefois, cela ne doit concerner que les régions qui sont fortement impactées par l'épidémie. On ne peut pas pénaliser tout le monde, alors que le virus n'est pas très présent. C'est du cas par cas avec des décisions qui doivent être prises au niveau local par les walis en concertation avec les directions de santé publique (DSP). Sincèrement docteur, le personnel médical pourra-t-il faire face à une seconde vague? C'est notre plus grande inquiétude. On est au front et on le restera, mais nous sommes lassés, fatigués physiquement et moralement. Cela fait quatre mois que l'on se bat nuit et jour face à cet ennemi invisible. Certains d'entre nous n'ont pas vu leurs familles depuis le mois de mars. On fait tous les jours face à la mort, à des malades qui souffrent le martyre. Vous imaginez que l'on ne respire pas la joie. Mais on tente d'accomplir du mieux que l'on peut notre devoir. L'inconscience de certaines personnes et leur égoïsme ne sont pas là pour nous encourager et nous remonter le moral. Quand on voit certains comportements, on se dit qu'on n'est pas prêt de voir le bout du tunnel. Je profite de cette tribune pour relancer un appel fraternel à mes compatriotes: «Aidez-nous en restant chez vous et en respectant les recommandations sanitaires. C'est le seul moyen pour que l'on puisse ensemble vaincre cette pandémie...»