Le président turc Recep Tayyip Erdogan participait vendredi à la première prière musulmane dans l'ex-basilique Sainte-Sophie depuis sa reconversion en mosquée, l'occasion pour ce nostalgique de l'Empire ottoman de s'offrir un coup d'éclat malgré les condamnations. OEuvre architecturale majeure construite au VIe siècle et monument le plus visité d'Istanbul, Sainte-Sophie a successivement été une basilique byzantine, une mosquée ottomane et un musée. Le 10 juillet, M. Erdogan a décidé de rendre l'édifice au culte musulman après une décision de justice révoquant son statut de musée. Cette mesure a suscité la colère de certains pays, notamment la Grèce qui suit de près le devenir du patrimoine byzantin en Turquie. Le pape François s'est aussi dit «très affligé» par cette reconversion. Deux semaines à peine après cette décision, entre 700 et un millier de fidèles musulmans ont participé vers 10h00 GMT à la prière du vendredi à Sainte-Sophie, en présence du chef de l'Etat turc, selon l'Autorité des affaires religieuse (Diyanet). Des dirigeants et responsables de plusieurs pays majoritairement musulmans, comme le Qatar et l'Azerbaïdjan, ont également été invités, selon la presse turque. Quelque 20.000 membres des services de sécurité seront déployés. Pandémie de nouveau coronavirus oblige, les autorités prendront la température des fidèles, qui ont été appelés à «s'équiper d'un masque» et à respecter la distanciation. Trois imams ont été officiellement nommés jeudi pour officier à Sainte-Sophie, ainsi que cinq muezzins, chargés de lancer l'appel à la prière. Pour nombre d'observateurs, la reconversion de Sainte-Sophie en mosquée par M. Erdogan vise à galvaniser sa base électorale conservatrice et nationaliste dans un contexte de difficultés économiques aggravées par la pandémie. En prenant cette décision, le chef de l'Etat s'attaque aussi à l'héritage du fondateur de la République, Mustafa Kemal, qui avait transformé Sainte-Sophie en musée en 1934 pour en faire l'emblème d'une Turquie laïque. Comme un symbole, M. Erdogan a d'ailleurs choisi pour la première prière le jour du 97ème anniversaire du traité de Lausanne qui fixe les frontières de la Turquie moderne et que le président, nostalgique de l'Empire ottoman, appelle souvent à réviser. Mercredi, M. Erdogan a partagé sur Twitter une vidéo mettant en scène des musulmans des quatre coins du monde islamique en train de chanter à la gloire de Sainte-Sophie. «Tu es à nous depuis toujours, et nous sommes à toi», a commenté le président turc. La prière de vendredi intervient par ailleurs dans un contexte de fortes tensions entre Ankara et Athènes, liées notamment aux explorations turques d'hydrocarbures en Méditerranée orientale. La Grèce a vivement dénoncé la reconversion de Sainte-Sophie en mosquée, y voyant une «provocation envers le monde civilisé». Mais Ankara a rejeté les critiques au nom de la «souveraineté», soulignant que les touristes pourront continuer de visiter cet édifice classé au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco. Le sort des mosaïques byzantines qui se trouvent à l'intérieur de Sainte-Sophie et qui étaient recouvertes de plâtre à l'époque ottomane préoccupe certains historiens. La Diyanet a affirmé qu'elles seraient dissimulées par des rideaux uniquement pendant la prière, l'islam interdisant les représentations figuratives. «Pas un seul clou ne sera planté», a assuré mercredi le chef de la Diyanet, Ali Erbas.