C'est un travail douloureux qui se fait au quotidien dans le déchirement. A Meftah, Lakhdaria, Khemis El Khechna, Hamadi et Baraki, les autorités locales commencent à procéder au recensement des victimes de la tragédie nationale. Dans quelques jours, des imprimés détaillés seront remis aux ayants droit ou à leurs familles et le paiement des premières mensualités se fera aussitôt après. Selon un repenti à Hamadi, les services de sécurité locaux commencent à se coordonner avec les services concernés de l'APC, alors que dans d'autres communes d'Alger et sa proche périphérie, les élus locaux contactés ont affirmé qu'ils attendent que les services de la wilaya leur donnent les directives nécessaires pour commencer à prendre attache avec les intéressés. La commission nationale de suivi de l'application de l'ordonnance et des décrets présidentiels portant mise en oeuvre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale a centralisé au jour du 15 mars toutes les données nécessaires pour entamer son travail et coordonner les actions des APC, APW et services de sécurité concernant les indemnités, les bénéficiaires, leurs familles, le recensement des victimes, des disparus et des familles éprouvées. Dans plusieurs tribunaux d'Alger et de sa proche périphérie, notamment dans les « zones-crise » du croissant de la Mitidja (Attatba, Boufarik, Tabaïnet, Bougara, Larbaâ, Meftah, Khemis El Khechna, les Eucalyptus, Baraki et Cherarba) des repentis, qui ont vu leurs compagnons mourir dans les maquis dans des accrochages, vont témoigner (il en faut deux, Ndlr), en présence des familles de ces derniers. C'est, en fait, un travail douloureux qui va se faire dans le déchirement, mais que la nécessité rend incontournable. Evidemment, plusieurs milliers de disparitions ne seront jamais expliquées ni justifiées, mais au moins le peu de lumière fait sur certains cas d'hommes morts permettra aux familles de faire leur deuil. Les listes des terroristes abattus et dûment identifiés ont été dressées par les services de sécurité concernés et envoyés aux walis afin qu'ils puissent vérifier au niveau local les plaintes, les doléances et les informations données ou demandées par les familles. Dans plusieurs APC du Centre, les élus locaux vont donner des bureaux spéciaux mis à la disposition de cellules de recensement et pour accueillir, sensibiliser et informer les familles. Concernant les islamistes licenciés et non réintégrés dans leurs postes de travail malgré l'existence de plusieurs directives à ce sujet, ceux-ci, dans une grande majorité, préfèrent recevoir une indemnisation globale et se tourner vers une profession libérale. Mais une partie des islamistes que nous avons rencontrés dans deux ou trois communes de la capitale préfèrent réintégrer leur travail, «pour le principe, mais aussi parce que nous occupions des postes bien rémunérés et que nous sommes diplômés». Chemin faisant dans le processus de paix, des interrogations pointent, des omissions se posent et des «oublis» se manifestent. C'est le cas par exemple pour les anciens détenus des camps d'internement du Sud, qui ne figurent nulle part dans la charte. Des partis politiques ont soulevé le problème et Farouk Ksentini s'est chargé de le mettre sur le bureau du président de la République. Cependant, c'est véritablement le dossier des disparus qui va poser le plus de problèmes aussi bien aux autorités qu'aux familles. Si pour un premier temps, des familles dans le besoin acceptent le principe de l'indemnisation (elles sont estimées à 77% de l'ensemble des familles concernées, selon des statistiques faites par Farouk Ksentini), ces mêmes familles peuvent demain réclamer la vérité sur leurs parents. Les enfants, aujourd'hui en bas âge, peuvent tout aussi bien réclamer demain la vérité sur la disparition de leurs parents. C'est en ce sens que le témoignage des repentis est capital, exceptionnel. ais il semble que les islamistes tués dans des accrochages et enterrés dans les maquis ne représentent qu'une petite partie du dossier. Reste donc le lourd compromis du silence contre l'argent, et l'impossible deuil des familles.