Une première pour cette ville naguère paisible. Un mouvement de protestation a paralysé, hier, toutes les activités de la ville de Meftah. Le mot d'ordre de grève a été lancé par des associations écologistes, appuyées par les associations de jeunes, de commerçants, d'artisans et de sportifs. Conséquence : tous les rideaux ont été baissés, hier matin, et des groupements pacifistes ont réuni ceux qui, pour une dernière fois, ont encore voulu attirer l'attention des autorités locales sur les risques qu'encourent les habitants de cette ville, située en contrebas de la Mitidja, mais qui se noie dans une pollution étouffante. A la source de cette protesta, la cimenterie. L'entreprise emploie près de 600 ouvriers, et, en fait, offre du travail à une ville qui n'en a pas. Enclavée entre Khemis El Khechna, Larbaâ, El Harrach et les contreforts de la Mitidja, Meftah devait bénir cette manne tombée du ciel. Mais il n'en est rien. La cimenterie dégage trop de déchets, trop de poussières pour être tolérée par les habitants qui, en période de chaleur, comme c'est le cas aujourd'hui, étouffent. «Nous sommes aujourd'hui reconnus partout où nous allons grâce à notre calvitie. Tous les jeunes sont en train de devenir chauves. On se lave à longueur de journée, car les particules de ciment tombent à tout moment sur notre tête. On vieillit à cause à la couleur blanche du ciment qui couvre nos cheveux», ironise un jeune. En réalité, le problème est plus sérieux. Des milliers de cas d'asthme se sont déclarés à Meftah. Les enfants et les vieillards sont les plus touchés. Dans le bureau de l'Association écolo de Meftah, pas moins de 2000 dossiers de cas déclarés d'asthme encombrent le bureau. «C'est une véritable hécatombe parmi les populations loacales», commente Hamoud Merabet, président de l'association Sauvegarde de l'environnement. Direction la cimenterie. Sur les contreforts, apparaît la carrière. Chaque mardi , sous bonne escorte de la gendarmerie, de la dynamite y est acheminée et les explosions successives font trembler toute la ville. Des nouvelles bâtisses ont été ébranlées, lézardées, fissurées. «Chez nous, le tremblement de terre est hebdomadaire et nous nous y habituons malgré nous» lance un septuagénaire agacé par le plâtrage qui vient de lâcher, une semaine, après l'avoir bien fait dans le mur de façade de sa maison, éloignée de quelque 300 mètres de la cimenterie. Un technicien de la cimenterie est formel : «Ecoutez, nous avons acheté un électrofiltre pour plusieurs dizaines de milliards de centimes et au lieu de la poussière, nous avons un gaz converti qui s'échappe des cheminées». Son collègue est beaucoup moins formel : «Périodiquement, ces électrofiltres de moindre qualité ne sont pas fonctionnels, et ainsi les poussières continuent à s'échapper des cheminées avant de tomber sur la tête des gens». D'ailleurs, il n'y a qu'à voir les poussières qui se dégagent pour ajouter foi à la seconde version des deux techniciens. Pire, on parle d'une usine de l'Encc qui continue à fonctionner avec de l'amiante, dont les particules cancérigènes ne sont plus à démontrer et qui se situe du côté de la route allant vers El Harrach. Alors que du côté sud, un autre péril menace Meftah. La partie n°1 de l'Onab, qui produit des aliments pour le bétail est d'une telle puanteur qu'elle attire toutes les mouches de la région. «Une véritable planète des mouches» lance un vieux de Meftah, qui nous rappelle comme pour mieux piquer le sentiment déjà exacerbé des gens, que Meftah avait été, dans les années cinquante et soixante, une ville pittoresque qui sentait bon à des kilomètres à la ronde, grâce aux vastes vergers et aux champs qui surplombaient la ville et disparaissaient dans les vallées verdoyantes de la Mitidja. Avec ses 60.000 habitants, ses problèmes et ses douleurs, son passé immédiatement imprimé par le fer rouge par les groupes armés de la région, Meftah est une ville qui se cherche encore.