«Nous avons tendance à croire que les repères sont une projection. Des balises qui jalonnent un peu les perspectives qui nous intéressent. Un rêve. Une ambition, une gloire. Et en réalité quelquefois les repères ne sont pas des projections, ce sont juste des proximités immédiates qu'on ne voit pas. Mon personnage est dans cet état d'esprit. Il est enfermé dans son autisme de seigneur conjugal. Il ne voit pas que son seul véritable repère c'est son épouse et un jour elle le quitte. Il se retrouve dans un vide abyssal. Je le fais sortir de chez lui et je l'emmène sur les routes. Il va faire des rencontres fabuleuses, mais va-t-il écouter toutes les leçons de vie que ces gens-là vont lui donner? Je ne pense pas. Ces personnes s'adressent aussi à nous. Elles nous donnent des leçons de vie. Elles essayent de nous éveiller à nos responsabilités. À la chance que nous avons de pouvoir rebondir. Et de nous relever quand on fléchit. Mais un livre ça ne se résume pas à ça. C'est une découverte, une aventure, Je vous laisse le découvrir. J'ai été très heureux d'écrire ce livre. J'espère que ce bonheur sera partagé avec vous», dit Yasmina Khadra en s'adressant à ses fans lecteurs sur sa page facebook. Une façon moderne, aujourd'hui, de faire la promotion de son nouveau roman «Le Sel de tous les oublis» qui, fait-il savoir aussi, «sortira le 20 août, en librairie, simultanément, en Algérie (chez Casbah-éditions), en France (Julliard), en Suisse et en Belgique, et dès le mois de septembre, au Canada.» Délire, sagesse et confusion Un livre puissamment lyrique. Un récit qui vous prend à la gorge. Un roman qui se lit comme si l'on regardait un chef-d'oeuvre cinématographique sur un grand écran, car les livres de Yasmina Khadra sont si bien écrits et décrits que l'on se surprend à suivre pas à pas, les turpitudes de cet obscur personnage Adem Nait-Gacem, dont le parcours existentiel ne sera pas de tout repos. Déçu par les aléas du destin, ce dernier, est un instituteur mordu de livre. Toujours un carnet intime dans son sac et prêt à annoter ses pensées, il verra un jour sa femme le quitter pour suivre son amant. Adem, le taciturne mélancolique qui vit encore sur le poids des mauvais souvenirs entretenus avec son oncle suicidaire, décide de tout lâcher et de partir sur les routes, comme fuyant sa triste ombre, pensant laisser tous ses malheurs derrière lui. Adem qui refuse de parler aux gens, préfère rester seul, sans doute rêve-t-il de se refaire une virginité mentale pour aller mieux et pourtant, en s'autodétruisant... Se faire oublier de lui -même, jusqu'à s'anéantir, mais il en faudra beaucoup pour cet homme qui n'en fait qu'à sa tête. Roman psychologique, Yasmina Khadra nous fait pénétrer dans le creux des vagues émotionnel de Adem qui, en partant de chez lui, va connaître encore plus de souffrance à l'échafaud de son errance fatidique où il fera la connaissance malgré lui de nombreux personnages qui viendront souvent à son secours devenu presque une épave, à l'image d'un clochard ivrogne, il se retrouve d'abord dans un asile psychiatrique, puis fait la connaissance d'un nain érudit qui aspire à partager sa vie avec lui.. Partir pour fuir ce que l'on a dans sa tête Mais Adem repart à nouveau sur les sentiers battus de l'inconnu et finit par rencontrer un couple de fermiers qu'il aidera à garder leur propriété. Mais le mal est fait quand le démon finit par abriter son esprit à la vue de cette femme... Adem au sommet du désespoir tente de se racheter une nouvelle vie, croit -il en tentant de «voler» l'épouse de celui à qui il renda service, un homme invalide, mais auprés duquel celle femme veut rester quoi qu'il en coûte...Ce roman qui raconte la déchéance d'un homme tantôt rescapé, tantôt abruti par la voix de la folie, se retrouve aussi plusieurs fois sauvé alors qu'il n'est qu'une loque, il ne choisira qu'une seule fois la rédemption en décidant tout de même de venir en aide aux gens du village lorsque le chef de la kasma lui propose d'enseigner les enfants de ce coin perdu. Nous sommes, en effet, en 1963. La guerre d'indépendance est finie et le pays doit se reconstruire par le savoir. Tout est à refaire, ou carrément à défaire, des esprits, mais aussi les corps délabrés, et puis certaines âmes damnées qui après l'indépendance vont se mettre à penser qu'à leurs intérêts, quitte à piller leurs voisins, par abus de pouvoir et de félonie. Adem qui retrouvera pourtant un air de clairvoyance, se rangera à nouveau du côté pervers de l'existence en tentant d'arracher lui aussi par la violence ce qui lui a échappé sous ses yeux, par impuissance... Au-delà de la triste vie de ce personnage qui finit en enfer, ce roman laisse à deviner de nombreuses sous-lectures, telle cette violence sous-jacente soulignée et qui est prête à nous exploser en pleine figure, dessinée ici à la fin de la guerre et qui témoigne d'un éternel trauma populaire qui n'en finit pas de nettoyer ses blessures, un peu comme aujourd'hui, au lendemain de la décennie noire..Il s'agit aussi de penser le traitement qui est fait aux femmes dans nos sociétés patriarcales où l'on peut tuer l'Autre pour sauver son honneur.. «Le sel de tous les oublis» est un roman qui appelle à la méditation sur le choix de nos propres chemins à prendre et dont la tournure peut avoir comme conséquences des effets aussi bien néfastes que bienheureux, sur nous-mêmes et notre entourage. Illusion ou désillusion, «Le sel de tous les oublis» invite à prendre conscience avec sagesse de nos actes manqués et d'éviter ainsi de sombrer dans la tourmente des âmes déchues. Ce qui est le cas de Adem qui n'a de cesse de partir, mais d'avancer non pas pour aller mieux, mais pour vouer à l'hégémonie béate du néant et se fondre la poire dans une malheureuse tragédie tel un antihéros masochiste. Et puis de toute façon, on a souvent besoin d'un plus petit que soi. Une expression qui ici prend sens en se matérialisant chez ce nain au coeur gros qui tente de raisonner Adem. En vain. La folie entre désir et violence «Le sel de tous les oublis» est un roman qui raconte le naufrage d'un homme qui refuse d'écouter les conseils des autres. Obtus, il dégringole au fur et à mesure qu'il perd le contrôle de son humanité pour devenir à son tour un vulgaire prédateur que rien n'arrête. Epuisé, à force d'errer comme un fantôme, il voit cette fois son cerveau se consumer à la fin, tel un brasier qu'on ne peut plus arrêter...Encore un livre qui va sans doute aussi bien éblouir les lecteurs que les émouvoir. Un roman très visuel qui s'ajoute à la longue liste de l'écrivain algérien le plus prolifique dont la plupart des romans sont traduits en 49 langues.. Adaptés au théâtre dans plusieurs pays (Amérique latine, Europe et Afrique), en bandes dessinées, certains des travaux de Yasmina Khadra ont été portés à l'écran («Morituri»; «Ce que le jour doit à la nuit»; «L'Attentat»). «Les hirondelles de Kabou»l a été réalisé en film d'animation par Zabou Breitman. Yasmina Khadra a aussi co-signé les scénarios de «La voie de l'ennemi» (avec Forest Whitaker et Harvey Keitel comme acteurs principaux) et «La route d'Istanbul» de Rachid Bouchareb. D'une plume affutée, Yasmina Khadra nous dépeint dans son dernier roman «Le sel de tous les oublis», l'autre côté sombre de nous-mêmes avec une rare maestra. Un livre qui vous transportera telle la voix d'une cantatrice d'opéra et que vous ne pourriez plus lâcher, pas jusqu'à la dernière note ultime du plaisir chaotique, mais si fort et si sublime qu'il vous transcendera..