Le coup d'Etat perpétré par l'armée au Mali fragilise la stratégie de la France, intensément engagée au Sahel avec plus de 5.000 militaires pour lutter contre les jihadistes, main dans la main avec les gouvernements locaux. Accusé de corruption et d'incurie, le président malien Ibrahim Boubacar Keita («IBK») a démissionné après avoir été arrêté par l'armée, au terme de plusieurs semaines de contestation populaire. Son départ forcé prive Paris de l'un de ses principaux interlocuteurs au Sahel depuis 2013, dans un pays où l'ex-puissance coloniale concentre la majeure partie de ses efforts militaires. Le président Emmanuel Macron a estimé que «la lutte contre les groupes terroristes et la défense de la démocratie et de l'Etat de droit sont indissociables». «En sortir, c'est provoquer l'instabilité et affaiblir notre combat. Ce n'est pas acceptable», a-t-il poursuivi Twitter, en appelant à ce que le pouvoir soit «rendu aux civils». Ces protestations n'ont pas dissuadé les militaires de s'emparer du pouvoir, tout en promettant d'organiser des élections «dans un délai raisonnable». «Aujourd'hui, d'une certaine manière c'est un retour à la case départ», juge Jean-Hervé Jezequel, spécialiste du Sahel chez International Crisis Group. «Huit années d'efforts, d'investissement, de présence pour au fond revenir à la situation du Mali au moment du coup d'Etat de 2012, avec une situation aussi confuse à Bamako, des insurrections armées plus violentes et des violences intercommunautaires accrues.» D'après cet expert du Sahel, «la France, les Etats sahéliens et les autres partenaires doivent véritablement questionner les choix stratégiques qu'ils ont fait ces dernières années. On ne peut durablement sécuriser un espace sans changer les formes de gouvernance qui le régissent». «Ce coup d'Etat est un revers pour la France», qui a lourdement investi depuis sept ans pour tenter d'aider le Mali à sortir de l'ornière, renchérit Michael Shurkin, du centre de réflexion américain RAND. «En même temps, cela pourrait en théorie avoir une issue favorable à terme si cela permet d'installer un gouvernement qui fonctionne mieux, plus légitime», souligne-t-il, en faisant valoir que «le Mali sous IBK faisait peu, voire pas de progrès» sur le plan sécuritaire. En coulisses, l'Exécutif français se montrait lui-même sceptique sur la capacité de l'ex-président malien à faire progresser la sécurité et la gouvernance dans son pays. Ce coup de force et l'imbroglio politique qui risque de s'ensuivre promet de compliquer le travail des diplomates et militaires français. «Il faut se concentrer sur le retour d'un pouvoir civil et de l'état de droit, avec une autre priorité: ne pas perdre l'engagement dans la lutte contre le terrorisme», selon l'Elysée. La junte a pris soin de déclarer que «la paix au Mali est notre priorité», et que les forces régionales et étrangères présentes au Mali «demeurent nos partenaires». Il s'agit de la Minusma (mission de l'ONU au Mali), la force Barkhane, le G5 Sahel, la force Takuba (groupement de forces spéciales européennes destiné à accompagner les militaires maliens). «La junte (...) ne veut pas s'aliéner le soutien de la communauté internationale, dont Barkhane. L'objectif était apparemment surtout d'éjecter IBK et ses proches du pouvoir», commente sur Twitter Yvan Guichaoua, chercheur à l'université de Kent (Belgique). Toutefois, l'un des piliers de la stratégie de Paris consiste à collaborer étroitement avec les forces armées locales dans l'espoir qu'elles puissent à terme assurer seules la sécurité au Sahel. Or, comment continuer à travailler avec une institution auteur d'un coup d'Etat? «Pour les militaires français, les choses vont être un peu plus compliquées», commente Michel Goya, colonel français à la retraite. «Les opérations peuvent continuer, on peut les mener en autonomie, mais la coopération avec les forces maliennes risque de subir un coup d'arrêt. Et les groupes armés vont peut-être essayer de profiter de la situation pour étendre leur action», prévient-il. Parallèlement, alors que Paris s'évertue depuis des mois à convaincre l'Europe de lui prêter main forte au Sahel, «je ne serais pas surpris que cela refroidisse quelque peu les ardeurs des partenaires européens, déjà un peu réticents, sur Takuba et d'autres projets, de même que le G5 Sahel», estime Elie Tenenbaum, chercheur à l'Institut français des relations internationales (IFRI). Pour l'heure, la force Barkhane se tient prête à évacuer du Mali les ressortissants français si besoin, a-t-on appris de source militaire française.