Après son bref passage à la tête de la direction de la Sécurité militaire, de 1979 à 1982, en succession à feu Kasdi Merbah, Yazid commence une brillante carrière diplomatique. Homme d'une grande curiosité intellectuelle, il apprend non seulement la langue du pays, mais s'intéresse également à son histoire et à sa culture. Le poste d'ambassadeur demande à la fois du doigté, du sens politique et une certaine sympathie pour le peuple du pays d'affectation. Une partie de la mission est de tisser des relations avec tous ceux qui comptent dans le système politique et la société du pays. La capacité de nouer des liens d'empathie, en dépassant les barrières linguistiques et culturelles, comme les traditions propres à chaque pays, implique une capacité d'adaptation, mise essentiellement au profit de l'Algérie. Dans ses différents postes, de 1982 à 1994, Yazid a su se frayer un chemin parmi les hommes qui comptent dans ces pays, et a présenté de l'Algérie, au-delà de ses tribulations, et alors qu'elle était plongée dans la tourmente de la guerre civile et de l'assassinat en direct de son président, une image positive qui n'a pas été de peu d'importance dans la résolution des questions touchant les relations entre notre pays et ces pays. Après son dernier poste d'ambassadeur à Washington en septembre 1994, Yazid est revenu à Alger, avec la pensée de prendre sa retraite définitive. C'est l'arrivée de Bouteflika à la tête du pays en avril 1999 qui l'a remis dans le circuit de la prise de décision. À souligner que Yazid n'a ni sollicité ni intrigué pour reprendre du service. Un retour non sollicité aux affaires Bouteflika avait besoin d'un homme d'expérience, et qui avait gardé une réputation nationale et internationale intacte, non seulement pour rehausser le prestige de son équipe gouvernementale, mais aussi pour s'assurer la collaboration d'un homme ayant une culture politique et intellectuelle reconnue. Yazid, un homme d'Etat dont la seule motivation était de servir, et qui avait prouvé la sincérité de son engagement public pour la défense des intérêts permanents de l'Algérie, s'est trouvé, à son corps défendant, et pendant toutes ses années passées au gouvernement, pris entre sa loyauté professionnelle, qui lui interdisait toute critique publique ou privée sur le style de gouvernement du chef de l'Etat de l'époque, et ses profondes convictions quant à la définition de la bonne gouvernance. Une collaboration difficile entre deux hommes aux principes et aux desseins divergeants. Il faut souligner que sa collaboration avec Bouteflika n'a pas été des plus sereines, car souvent les décisions que le premier prenait ne correspondaient pas aux intérêts du pays selon la conception patriotique qui animait Yazid. Parmi les sujets qui donnèrent lieu à friction entre le chef d'Etat et son ministre de l'Intérieur, le plus sérieux fut la loi sur les hydrocarbures qui donnait une influence excessive aux multinationales, et suivant des termes que même le Koweït, pourtant sauvé par les Etats-Unis, avait refusé de concéder à ces multinationales. Alors que tous les membres du gouvernement de l'époque avaient adopté une attitude veule et passive à l'égard de cet abandon de souveraineté sur la seule richesse du pays, Yazid a non seulement exprimé par écrit son opposition au projet de loi, mais avait présenté sa démission et quitté son bureau, pour bien marquer son rejet de ce texte concocté sous la coupe d'un ancien employé d'une multinationale. Un autre sujet de friction a été la politique étrangère de Bouteflika. Alors que ce dernier voulait embrasser une politique d'entrisme à l'égard de certaines puissances, et à ouvrir, pour leur plaire, les portes de l'Algérie aux «Organisations non gouvernementales», les nouveaux instruments dont l'objectif est de jeter la confusion dans les desseins réels de leurs pays d'origine, Yazid s'y est fermement opposé, car sachant que la subversion prend des formes «humanitaires», pour mieux faire son travail de sape et de pénétration. De même, Yazid a marqué des grandes réticences quant à l'Accord d'association avec l'Union européenne qu'il jugeait trop déséquilibré dans sa partie strictement politique comme dans sa partie commerciale. Retour sur les évènements de Kabylie du Printemps 2001 Un autre sujet de conflit entre les deux hommes a été la prorogation des mandats de Bouteflika au-delà des 8 années prévues par la Constitution de 1996. Dès la préparation du troisième mandat de Bouteflika, Yazid a soulevé le problème de passage du témoin à une nouvelle génération d'hommes politiques, et a estimé qu'il était temps que les hommes qui ont contribué à la Guerre de libération laissent la place à des leaders capables de prendre en charge le destin d'un pays et d'un peuple qui avaient totalement changé et qui avaient besoin d'un nouveau souffle, d'un nouvel idéal, d'un nouvel horizon. On sait ce qu'il en fut, car notre pays continue à payer le prix d'un acharnement à s'agripper au pouvoir de la part d'un homme et d'une équipe mettant ses intérêts matériels au-dessus des intérêts de la nation. On ne peut pas manquer d'évoquer un évènement tragique qui a eu lieu lors du passage de Yazid au ministère de l'Intérieur et qui lui a valu des critiques à la fois violentes et injustes. Il faut reconnaître que ce poste ministériel est l'un des plus délicats, quelle que soit la nature du régime politique, et que dans ses attributions il couvre, en fait et d'une manière ou d'une autre, directement ou indirectement, toutes les activités quotidiennes et banales du citoyen comme de l'administration. Rien de ce qui se passe dans le pays n'est étranger au ministre de l'Intérieur qui est appelé, parfois, à intervenir dans des domaines qui ont peu de chose à voir avec ses compétences propres, mais qui peuvent influer sur l'opinion publique et porter atteinte à l'ordre public de manière marginale ou cruciale. Il n'est nullement question ici de revenir sur toute la série d'évènements qui ont éclaté en Kabylie au printemps de 2001, évènements relatés dans le détail par un rapport préparé sous la présidence de feu le professeur Issad, à l'intégrité morale et intellectuelle dont peuvent témoigner tous ceux qui l'ont connu, mais seulement de souligner que leur explication ne ressortit pas d'une politique délibérée de provocations suivies de répression, mais qu'ils ont été déclenchés et alimentés par une série d'actes graves commis par les forces de l'ordre en place localement, et condamnés officiellement, bien que des erreurs de communication aient effectivement eu lieu au sommet de l'Etat. Voici ce que disent les premières lignes du rapport «Issad.» «Le 18 avril 2001, un jeune lycéen de 19 ans, Guermah Massinissa, reçoit dans le corps, à l'intérieur des locaux de la Brigade de gendarmerie de Béni-Douala, et d'après le rapport d'autopsie, trois des six balles de Kalachnikov tirées en rafale par le gendarme Mestari. L'une des balles tirées a blessé un autre gendarme qui se trouvait à proximité. Le jeune Guermah fut admis à la polyclinique de Béni-Douala, puis à l'hôpital de Tizi-Ouzou pour les premiers soins. Devant la gravité de ses blessures, il fut transféré à l'hôpital Mustapha à Alger. Il devait y décéder le 20 avril 2001 à 8h15.» Toute une vie au service du pays La suite du rapport entre dans les détails des incidents dramatiques qui ont entraîné malheureusement morts d'hommes et, marginalement, destructions de propriété publiques et privées réparables. Ce rapport souligne également que la responsabilité du ministère de l'Intérieur et de son titulaire, qui a, du fait de son portefeuille, eu à affronter l'opinion publique, à travers ses déclarations à la presse, ne l'a pas placé comme protagoniste activement engagé dans la gestion des faits ayant conduit à cette révolte d'une partie de la population. Les forces de l'ordre locales avaient des attributions fixées par texte législatif et réglementaire mettant sur eux la responsabilité totale de la gestion du maintien de l'ordre. Les dépassements ou erreurs qu'ils ont commis dans l'exercice de leur mission sont strictement localisées et personnalisées. Cette série d'évènements a eu effectivement un écho défavorable auprès de l'opinion publique nationale, qui a condamné la violence arbitraire frappant la première victime du dérapage des services de l'ordre et a vivement ressenti la perte de vies humaines qui s'en est suivie, et a fait l'objet d'une couverture intensive de la part de la presse locale. En tant que ministre, Yazid a lui aussi été d'une certaine façon victime de ces dépassements injustifiables, car il avait à prendre en charge l'explication à l'opinion publique de décisions locales malencontreuses et malheureuses. Mais en tant que membre du gouvernement il ne pouvait assumer plus que ce qui ressortissait de son domaine, c'est-à-dire veiller à corriger la série d'erreurs et d'actes arbitraires commis localement par les forces de l'ordre directement engagées sur le terrain. Faut-il ajouter encore plus de détails à ce combien bref hommage à une personnalité qui a consacré toute sa vie au service de son pays, a fait preuve d'une loyauté sans faille envers les intérêts supérieurs de la nation, au-delà de toute considération de fidélité aux hommes qui ont présidé au destin de l'Algérie? Yazid a une vie riche et bien remplie et ces quelques pages, si longues paraissent-elles au lecteur, pourraient avoir omis l'essentiel, c'est-à-dire la description de la personnalité derrière ce nom, qui explique sa carrière prestigieuse et l'appel à lui dans les moments les plus difficiles. Qu'il repose en paix! Ce qu'il laisse derrière lui comme souvenir d'un homme d'Etat constant dans ses principes et d'une personnalité gracieuse, généreuse, attentive, courtoise, et modeste, et comme exemple aux générations futures suffit! Condoléances les plus sincères à son épouse et à ses enfants. Nous sommes à Dieu et à Lui nous revenons!