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Evénements de Kabylie
Publié dans El Watan le 20 - 07 - 2005

Ali Tounsi a dit lors de sa conférence de presse samedi 9 juillet : «Nous avons prévu la crise en Kabylie deux ans avant le déclenchement des événements…»
Le «nous» renvoie naturellement à l'ensemble des institutions – politiques, civiles et militaires – de la République ; c'est-à-dire que l'Etat algérien était préparé à faire face à une crise grave, dans une région sensible. Ces deux facteurs majeurs – la gravité des événements à venir et la sensibilité, voire la susceptibilité de la Kabylie à «bien répondre», à la provocation ont été sciemment ignorés depuis le début. Alors que l'intérêt suprême du pays, recommandant légitimement la préservation de la cohésion et de l'unité nationale, dictait de s'attaquer aux causes pouvant précipiter l'avènement de la crise afin de l'étouffer dans l'œuf – et donc d'éviter au pays l'embrasement et les pertes humaines -, les autorités ont laissé venir. Elles ont cautionné la tragédie. Mohand Issaâd, chargé le 2 mai 2001 par le chef de l'Etat d'enquêter sur les événements, le confirme très nettement dans son rapport préliminaire : «Les autorités et les institutions ont été averties dans des délais raisonnables et le directeur général de la Sûreté nationale a même laissé prévoir une insurrection. Cela n'a reçu aucun écho et donne la désagréable impression que personne ne s'était senti concerné.» Cela veut dire que les autorités étaient déjà dans cet esprit de cautionnement au moment même où les rapports des renseignements généraux testaient la solidarité des bureaux de la DGSN. Cela veut dire que les 123 victimes de ce printemps noir ont été sacrifiées sur l'autel de l'irresponsabilité. Peut-être y avait-il déjà, à cette phase de la crise, la volonté d'une stratégie d'expérimentation dans la région. Le président de la République a mis le rapport de «son» enquête dans le tiroir de l'oubli, n'accordant même pas l'attention nécessaire au travail du juriste émérite et intègre qu'est Me Issaâd, précédemment président de la Commission nationale de la réforme de la justice. Le mépris, toujours le mépris.
Ali Tounsi a parlé de «préparatifs», de «réunions des archs et de partis (politiques)…» Deuxième mystère. Le DGSN fait-il référence aux préparatifs visant la mise en place de la structure tant contestée des archs – que le pouvoir a reconnu de manière très officielle dès lors qu'il a accepté de négocier avec ses délégués – ou bien désigne-t-il quelque opération réfléchie de déclenchement, puis de propagation des foyers de tension et de violence en Kabylie ? Aux questions des journalistes, M. Tounsi était bien sûr resté sur ses gardes. Pourquoi n'est-il pas allé au bout de ses révélations ? Parce que, sans doute, ses propos furent spontanés, pas suffisamment prudents pour être acceptés dans leur juste appréciation, le rapport de la commission d'enquête a montré que le gendarme Mestari a actionné sa kalachnikov à deux reprises à l'intérieur de la brigade de Beni Douala («Il a fallu, par deux fois, actionner la détente pour faire partir d'abord trois balles puis trois autres»). Que c'est encore des éléments de la gendarmerie qui ont provoqué la colère à Amizour avec l'arrestation, jugée «irrégulière» par la commission, des trois collégiens qui se dirigeaient au stade avec leur professeur de gymnastique et leur passage à tabac.
Que c'est toujours la gendarmerie qui rend public un communiqué truffé de fausses informations, selon lesquelles Guermah avait été interpellé suite «à une agression suivie de vol». Minimisant l'ampleur des événements – n'oublions pas qu'ils étaient prévus, selon Ali Tounsi – les autorités politiques finissent pas réagir. Bien maladroitement. Le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, dans la précipitation et la logique du mépris, se rend sur place et insulte la mémoire de la première des 123 victimes du printemps noir. Reprenant, le fameux communiqué de la gendarmerie, il qualifie Guermah de «délinquant de 26 ans». Comment un Etat prévu deux ans auparavant du déroulement de ces événements pouvait-il se permettre une bavure supplémentaire qui, plus est, émane du ministre de l'Intérieur, proche parmi les proches de M. Bouteflika ?
D'autant que l'Académie de Tizi Ouzou rappelait, chaque jour depuis le 18 avril 2001, que la victime de Beni Douala était le lycéen Guermah Massinissa. Tout cela a curieusement échappé aux responsables politiques de l'Etat algérien. Issaâd écrit encore dans son rapport : «Si quelqu'un a donné forcément l'ordre de tirer à balles réelles – sur les foules – personne n'a donné l'ordre de cesser le feu.» «Les gendarmes, note-t-il, sont intervenus sans réquisition des autorités civiles comme le stipule loi (…).
La violence enregistrée contre les civils est celle d'une guerre, avec usage de munitions de guerre.»
Pendant la durée des émeutes et des tueries, ni le président de la République ni son chef du gouvernement de l'époque, Ali Benflis, n'ont daigné se rendre en Kabylie. Pis, lorsque celle-ci est descendue à Alger, dans ce qui restera la plus grand marche citoyenne de l'histoire de l'Algérie indépendante, un système répressif a été érigé en comité d'accueil aux portes de la capitale et dans ses entrailles, avec, en prime, des caméras de la télévision nationale réquisitionnés à titre de manipulation illustrative – son directeur général, Hamraoui Habib Chawki, a dû, il y a quelques mois, présenter ses excuses à la demande des autorités politiques, Ahmed Ouyahia ayant décidé de convoquer les archs au Palais du gouvernement pour des rounds de négociations.
Par Lyes Bendaoud (*)
(*) Journaliste


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