Pour ceux qui ont dégusté longuement et inlassablement, avec toujours un égal et réel plaisir, les romans et les autres livres de l'immense Mouloud Feraoun, la tentation sera très forte de découvrir encore des textes non lus et inédits de l'auteur du mythique «Le fils du pauvre» et des romans cultes «La terre et le sang» et «Les chemins qui montent». Certes, il ne s'agit pas de romans de la sève de ces derniers, mais il n'en demeure pas moins que, dans ce nouveau livre, c'est du Feraoun dont il s'agit également. L'initiative de la maison d'édition El Kalima d'Alger d'éditer ce livre dans le cadre de la très originale collection «Petits inédits maghrébins», est tout simplement géniale et mérite tous les encouragements. Car, quand on est un écrivain de la dimension de Mouloud Feraoun, tout écrit laissé par ce dernier devrait être mis au goût du jour et à la disposition des lecteurs, mais aussi et surtout des chercheurs en littérature. Le livre dont il s'agit est: «Les tueurs et autres inédits» de Mouloud Feraoun. Une collection et des nouveautés Un ouvrage précieux qui vient enrichir cette collection où l'on retrouve également des sommités littéraires comme «Jean Sénac, l'enfant fruitier», «Anna Greki et Mohammed Khadda, souvenirs dans le vertige», «Mohamed Dib, le voeu de la septième lune», «Dris Chraïbi, le greffe» et «Emmanuel Roblès, printemps d'Alger». Cette collection sera encore enrichie par d'autres nouveautés à publier au courant de cette année 2021, promet Naïma Beldjoudi, la responsable de la maison d'édition El Kalima. Il s'agira de «Kateb Yacine, textes pour une révolution», ««Albert Memmi, lettres à un jeune Tunisien», «Felix Mornand, journal de voyage dans la province de Constantine» etc. Toutes ces publications sont précédées par de pointues présentations rédigées par des universitaires spécialistes en la matière. «Les tueurs et autres inédits» de Mouloud Feraoun comprend une présentation rédigée par Safa Ouled Haddar qui est maitre de conférences à l'université de Blida. Cette dernière rappelle que Mouloud Feraoun, dans ses oeuvres, retrace une bonne partie de l'histoire de l'Algérie. «Quand on parle de Mouloud Feraoun, on invoque l'Algérie coloniale, la Kabylie, Alger, l'école, les enfants...», écrit d'emblée Safa Ouled Haddar. Dans cet ouvrage, on retrouve de nombreux textes inédits de Mouloud Feraoun dont l'un des plus importants est sans doute la dernière page de son célèbre Journal, édité à titre posthume par les éditions Le Seuil. Cette page (trois pages dans le présent ouvrage) qui représente la fin du livre, n'a pas été retenue par les éditions Le seuil pour des raisons inconnues, précise l'éditeur. Dans ce texte, Mouloud Feraoun commence par décrire le climat de terreur qui régnait à Alger en mars 1962, à la veille de son assassinat. «À Alger, c'est la terreur», écrit Mouloud Feraoun avant d'aller plus loin dans sa description minutieuse de l'ambiance qui prévalait dans la capitale algérienne la veille de la signature des accords d'Evian qui allaient libérer le pays du joug colonial. Le lecteur peut aussi découvrir le texte intitulé «Les tueurs», également écrit quelques jours avant son assassinat. Il s'agit également d'un texte prémonitoire qui démontre à quel point Mouloud Feraoun était lucide malgré la pression et le contexte de l'époque. Grâce à ce livre, on découvre Mouloud Feraoun le poète. Mouloud Feraoun le poète «Voilà que se prennent les mains, Mains de trêve mains de l'oubli, Voilà que se prennent les mains, De ceux qui, soudain sont amis», c'est ainsi que commence l'un des poèmes de Mouloud Feraoun compris dans ce recueil. Il faut préciser que les poèmes en question étaient conservés dans le Fonds Emmanuel Roblès de la médiathèque Limoges. «Tizi est mon village natal. Je suis bien aise d'en parler, parce que jamais personne n'en parle et que cette justice que je veux rendre aujourd'hui...», ainsi s'ouvre le texte intitulé «Le beau de Tizi», écrit en 1956 par Mouloud Feraoun et faisant partie de ce recueil. Ces textes réunis dans ce livre qui fait partie d'une collection dirigée par Guy Dugas, presque tous inachevés, démon-trent que Mouloud Feraoun avait encore beaucoup de livres à écrire si la bêtise n'en avait pas décidé autrement en l'assassinant. Extirper ces textes de Mouloud Feraoun de l'oubli est le plus grand mérite de la maison d'édition El-Kalima dont les efforts pour récupérer l'ensemble de ces inédits est à saluer. Surtout quand on sait que le livre parait dans un contexte de crise sanitaire mondiale qui a négativement impacté le marché du livre en Algérie.