Fils et ayant droit de l'écrivain, Ali Feraoun revient dans cet entretien sur les textes rares et inédits proposés dans le 11e numéro des PIM ainsi que sur les projets de sa fondation. Liberté : Que pensez-vous de ce dernier numéro des PIM, qui offre aux lecteurs des textes inédits et rares de votre père ? Ali Feraoun : Pour commencer, je pense qu'il faut aller à la genèse de cet ouvrage. La fondation Mouloud-Feraoun, que je préside, a initié un travail colossal qui est la numérisation des archives et surtout des manuscrits de Mouloud Feraoun. À l'occasion de la commémoration du centenaire de la naissance de cet écrivain, José Lenzini (journaliste-auteur), qui, pour la préparation de cet événement, a écrit une belle biographie de Feraoun parue en 2013 chez Acte Sud et Casbah Editions en 2017 avec une préface de votre serviteur, a su, grâce à son intérêt pour l'œuvre de Feraoun, nous trouver l'aide très précieuse de l'Institut français pour conduire et supporter les frais de ce grand projet de numérisation pendant une durée de trois ans : achat de matériel, organisation d'un stage de numérisation de deux sessions et conduite d'un véritable chantier avec des experts de l'institut en manuscrits, qui ont fait de nombreux séjours à Alger. Claire Riffard et M. Sanson, pour la partie française, et pour la partie algérienne Abdelwahab Medjadj, secrétaire général de la fondation Mouloud-Feraoun pour la culturel et l'éducation, s'y sont attelés pendant une bonne quarantaine de mois. C'est ainsi que nous avons, depuis 2017, numérisé les manuscrits de Feraoun, qui sont désormais sauvegardés pour la postérité. Le lien de cette opération avec le livre édité par El Kalima est Olivier Sanson. En effet, Naïma Beldjoudi a eu à consulter, grâce à Olivier Sanson, à ce que j'ai compris, le travail de numérisation, et Olivier a attiré son attention sur l'existence de pages inédites du Journal de Feraoun. Le texte À Alger, c'est la terreur, dernière page du Journal, n'a jamais été publié par les éditions du Seuil et ce, "pour des raisons inconnues"... En fait, en juin 1962, lorsque, après la débandade des intégristes français, ma famille et moi-même avons pu réintégrer notre maison à Alger, je me suis attelé à dactylographier le dernier cahier du Journal de Feraoun, qui était la seule partie de l'ouvrage non encore remise aux éditions du Seuil. Le Journal devait être édité en septembre, et je tenais à ce que ce dernier cahier y soit intégré. Cependant, Emmanuel Roblès, directeur de la collection Méditerranée où paraissaient les livres de Feraoun, m'a parlé d'un problème d'espace, vu que la maquette était déjà conçue. C'est ainsi que du cahier de 32 pages Roblès n'a pu en retenir qu'une maigre partie ou parfois des bribes de pages. Mais même cette sélection, m'avait signalé Sanson, était très tendancieuse, puisque les parties de textes pouvant donner une sale et vraie image des intégristes français avaient été systématiquement écartées par Roblès. Cet ouvrage propose également la nouvelle Les Tueurs. Un texte "prémonitoire" sur l'assassinat de Mouloud Feraoun ? Ce texte va dans la continuité des autres pages du Journal ; il n'a pas été individualisé comme une nouvelle et n'avait pas non plus reçu de titre. Quant aux menaces, Feraoun en recevait déjà à Fort-National, mais plus encore à Alger par téléphone et par lettres, où on lui demandait de "préparer son drap", "l'heure du grand saut étant proche". Feraoun n'avait pas peur de mourir. Il avait une attitude très sereine vis-à-vis de la mort, sachant que la vie était un passage, qui a un début et une fin. Bien sûr, disait-il dans le Journal, qu'il ne voulait pas mourir. Mais la mort ne le terrorisait pas. Il avait une foi immense qui l'aidait à surmonter bien des épreuves. Pourquoi depuis sa publication dans une revue américaine en 1982 cette œuvre est-elle restée méconnue du grand public ? Pourquoi ce texte est-il resté inconnu du grand public ? En fait, pour nous, c'est une partie du Journal de Feraoun. Le projet de la fondation est de préparer une édition complète du Journal pour 2022, l'anniversaire du 60e anniversaire de l'indépendance et de l'assassinat de Feraoun. Nous préparons également une édition intégrale du Fils du pauvre, dont l'édition connue jusqu'à présent (excepté celle parue chez Casbah) est une édition amputée du tiers de son contenu. Pour le reste des textes de l'ouvrage, comme Les Beaux Jours ou Mon village, je pense qu'une bonne partie se trouve dans Jours de Kabylie et dans L'Anniversaire. Ce numéro est appuyé par des dédicaces et des poèmes destinés à Emmanuel Roblès et à Jules Roy. Pouvez-vous nous raconter des anecdotes sur l'amitié qui liait ces trois écrivains ? Feraoun avait une amitié fraternelle pour Emmanuel Roblès depuis toujours. Il était lié avec beaucoup d'écrivains français et algériens, mais je pense que l'amitié qui le liait à Jules Roy était vraiment fraternelle. Jules Roy était un homme d'une grande simplicité, franc et direct.