Cette bavure a été l'étincelle qui a mis le feu aux poudres dans la région. Massinissa Guermah, un jeune lycéen est décédé, touché à mort par des balles tirées, selon certains, à bout portant par un gendarme dans les locaux de la brigade de Béni Douala. Le jeune homme admis d'urgence à l'hôpital rendit l'âme en présence de ses parents. Khaled le père, un homme mesuré et n'ayant aucune attache partisane, et la mère éplorée ne comprenaient pas comment celui sur lequel reposaient leurs espoirs, le plus gentil de la famille et un garçon auquel personne ne pouvait reprocher quoi que ce soit, était ravi à leur affection. Quelques jours plus tard, et à Tizi Ouzou, venu après le déclenchement des premières manifestations, le ministre de l'Intérieur, apparemment mal informé, a traité la victime de voyou. L'étincelle était partie. Les dérapages de la maréchaussée et le comportement de certains administrateurs ont fait déborder le vase et la population est sortie dans la rue. D'abord, pour condamner le meurtre, ensuite pour demander le holà à certains comportements. Des comportements supportés jusque-là mais qui ont commencé à peser pour les populations. En ce 20 avril 2001, la coupe était pleine et les responsables, aussi bien du corps de la gendarmerie que de l'administration, ne semblaient pas avoir pris l'exacte mesure du ras-le-bol populaire. Aussi bien à Béjaïa, qu'à Bouira et Tizi Ouzou et dans une certaine partie de Boumerdès, les populations se sont soulevées pour exprimer leur colère et aussi leur attachement aux revendications aussi bien culturelles que sociales. Massinissa Ghermah était ainsi devenu l'étincelle qui mit le feu aux poudres. Les foules voulaient mettre le holà et les manifestations se multiplièrent. Les forces de l'ordre réagirent et souvent violemment. D'autres jeunes furent tués. La machine infernale était mise en branle. La Kabylie devient alors un véritable chaudron, les gens adhérèrent spontanément et de grandioses marches eurent lieu aussi bien à Béjaïa qu'à Bouira et Tizi Ouzou. Devant cette montée de la colère et devant la montée de la violence, une organisation chargée d'encadrer la situation et aussi d'éviter le pire est née. Ce furent les archs ou encore le mouvement citoyen. Réunis à plusieurs reprises, les citoyens mandatés par les villages et les quartiers des villes avaient pour mission d'arrêter le massacre. Dans la foulée une plate-forme de revendications est née: c'est la plate-forme d'El Kseur. La plate-forme résume en somme les revendications culturelles, sociales et traçait carrément la route vers une société démocratique. Les forces politiques ayant pignon sur rue en Kabylie tels le FFS et le RCD s'en mêlent et la rue plus forte que jamais appartient désormais aux populations. La Kabylie est paralysée, elle dit lutter pour une société meilleure où le droit et la justice priment. Après les grosses marches de Tizi Ouzou ce fut le tour de la marche d'Alger. La région fermée s'était rendue en car, en voiture, et autrement à Alger. Les marcheurs, près d'un million de personnes et même plus pour certaines sources, devaient remettre au chef de l'Etat la plate-forme d'El Kseur. La répression, car un autre mot semble difficile, les attendait à Alger. En effet, les marcheurs ont rencontré la trique et l'incompréhension, l'administration a eu là son jeudi noir et les marcheurs ont été chassés de la capitale, eux qui pensaient pouvoir être reçus par les hautes autorités. Depuis, enfermés dans une logique de face-à-face, les citoyens de Kabylie ont plus connu le rejet que les paroles de paix. Mais à toute confrontation et à tout conflit, il fallait une fin et la fin c'est justement les élections locales partielles décidées après que les archs eurent «décrété» les élus d'octobre 2002 comme des indus élus. Désormais, la Kabylie fatiguée des marches, des grèves et autres, a ses représentants élus au suffrage universel et entend désormais vouer ses forces au développement. Il appartient à l'Etat de faire en sorte que la Kabylie ne se sente pas abandonnée et qu'elle rejoigne enfin les rives du développement dans une atmosphère démocratique. Tel est le rêve des populations qui en ont assez de la violence.