L'Expression: Cinq ans après les tragiques événements du Printemps noir, quel est l'état des lieux que vous dressez? Ali Yahia Abdenour: Vous savez, on ne peut pas dresser l'état des lieux sans revenir en arrière, c'est-à-dire à l'origine de ces événements. Il faut le dire, c'est la question identitaire qui était à l'origine de l'explosion du 20 avril 2001. Aujourd'hui, la reconnaissance de l'amazighité, dans sa triple dimension, identitaire, culturelle et linguistique, est indispensable pour la promotion des droits de l'homme et de la démocratie en Algérie. L'histoire de l'Algérie a été occultée par le système politique en vigueur. Il est impossible de forger son histoire sur des non-dits et des tabous. Ce qu'il y a lieu de reconnaître maintenant, c'est que l'amazighité n'est pas la chasse gardée d'une région, mais c'est une question nationale. Les assassins de la mémoire qui ont marqué d'un sceau indélébile la culture algérienne disent que l'amazighité divise le peuple. Ce qui est complètement ironique. Le mépris de l'identité amazighe a engendré la radicalisation politique de la région qui s'est concrétisée le 20 avril 1980. La génération du boycott scolaire et universitaire de 1994-1995 devenue adulte avec la maturité politique en plus, défend avec force et conviction la langue amazighe. Les jeunes manifestants du mouvement citoyen ont revendiqué, avec le droit de cité pour tamazight, le rétablissement du peuple dans son droit à la souveraineté nationale, ont conduit le président à amender la Constitution en introduisant tamazight comme langue nationale. Dans cette longue lutte, le rôle de la culture appuyé sur la langue comme signe d'identité a été décisif. L'une des revendications figurant dans la plate-forme d'El Kseur, est celle du départ de la gendarmerie de la Kabylie ainsi que «le jugement par les tribunaux civils de tous les auteurs, ordonnateurs et commanditaires des crimes». Où en est-on avec cette question aujourd'hui? Malheureusement, les gendarmes ayant assassiné les jeunes manifestants ne seront pas jugés. Au contraire, ils bénéficieront des lois contenues dans la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Il ne faut pas oublier que les gendarmes ont répondu avec violence et férocité à la contestation populaire. Aussi, les nombreux témoignages recueillis ont mis en lumière l'ampleur de cette terreur. Les auteurs du crime ont tendance à se couvrir du linceul de l'oubli. Et bien qu'identifiés, ils continuent à bénéficier de l'impunité. Ils ne seront jamais jugés. Et même si le chef du gouvernement a accepté dans la forme la plate-forme d'El Kseur, il n'en demeure pas moins qu'il l'a vidée de sa substance. Il l'a d'ailleurs fait en disant être favorable à l'application de la plate-forme mais dans le cadre des lois du pays. Et le président de la République a clos le dossier du mouvement des archs en déclarant à Constantine, que tamazight ne sera jamais officialisée. En tant qu'observateur de la scène politique nationale en général et du développement de la situation en Kabylie, à quel point les élections partielles du 24 novembre 2005 ont-elles contribué au règlement ou du moins à l'apaisement de la tension en Kabylie? Il faut reconnaître une chose : les élections partielles n'ont jamais réglé la crise en Kabylie. Aussi, ont-elles participé à l'affaiblissement du mouvement citoyen. Et s'il faut apporter une preuve à cet échec, c'est bien celui de la faible affluence du corps électoral. A quoi est dû ce fait, à votre avis? Cela est dû inéluctablement à la rivalité et la désunion entre les partis traditionnellement implantés dans la région, en l'occurrence le RCD et le FFS. Ces deux formations politiques n'ont pas pu s'entendre et se solidariser entre elles. Le refus de ces partis de s'unir et de constituer un vrai blocus d'opposition a fait que les élections partielles tournent en échec cuisant.