Intitulé «Le royaume de Toumkel», ce livre n'est pas seulement un roman. Il s'agit aussi d'une analyse, psychanalytique et approfondie, des séquelles indélébiles et inénarrables de la guerre d'indépendance nationale. Une infinité de livres a été écrite sur la guerre pour l'Indépendance nationale en se basant principalement sur les faits vécus pendant cette période ainsi qu'en focalisant sur les analyses politiques de cette période, mais rares sont les écrits qui se penchent avec autant de savoir-faire et d'acuité sur les conséquences dramatiques laissées sur les enfants de la guerre. Des blessures qui n'ont jamais disparu même des décennies après la conquête de l'Indépendance. Et quand bien même les personnes concernées ont pu réussir des vies professionnelles flamboyantes dont seraient fiers tous les martyrs de la Révolution. Abderrahmane Si Moussi fait partie de cette frange d'Algériens. Né dans la douleur de la dureté de la guerre, Abderrahmane Si Moussi a réussi à surmonter tous les obstacles qui pouvaient s'ériger contre lui pour lui barrer la route du succès. Avec abnégation, il a franchi toutes les marches vers le succès professionnel dont rêverait un père pour son fils. Il y a une grande part d'autobiographie dans ce roman à ne pas lire d'une traite car chaque phrase, chaque paragraphe et chaque page nous invite à nous y attarder pour nous imprégner de ce que l'auteur décrit et des émotions qu'il voudrait transmettre au lecteur. Un roman à déguster C'est donc un roman à lire doucement pour mieux le déguster, même si déguster n'est pas tout à fait le mot qu'il faut car il s'agit souvent de douleur et d'amertume, dans ce livre. Le père de Abderrahmane Si Moussi, du personnage principal donc, tomba au champ d'honneur quand ce dernier n'avait qu'un an. La famille de Abderrahmane Si Moussi a été fortement ébranlée par la guerre. Les événements douloureux qu'il eut à affronter ne l'empêchèrent pas de poursuivre d'abord ses études primaires dans une école pour orphelins de guerre, loin des siens. Il ne cessera de se battre pour le savoir jusqu'à l'obtention d'un doctorat en psychologie à Paris, sur le destin adulte des orphelins de guerre algériens. Il a été enseignant-chercheur à l'université d'Alger durant trois décennies et fondateur du Laboratoire d'anthropologie psychanalytique et de psychopathologie. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages et publications scientifiques. Formé à la psychanalyse, il est membre de la Société psychanalytique de Paris. Une femme exceptionnelle Il précise que «Le Royaume de Toumkel», sa première expérience littéraire, est inspiré et marqué par sa grande expérience de la psychologie humaine et du traumatisme de guerre: «Ce parcours lui a permis de parler de la guerre et de ses effets à long terme avec finesse, humour et avec un certain détachement». Abderrahmane Si Moussi souligne, en outre, que ce récit retrace une histoire vraie, celle d'un village, d'une famille et d'une personne dont la vie est bouleversée à jamais par la guerre contre le colonialisme français. L'auteur décrit comment sont morts quatre fils de Touma, un des personnages principaux du «Royaume de Toumkel». Il s'agit, on le découvre au fil des pages qui lui sont consacrées dès le début du récit, d'une femme exceptionnelle qui a régné silencieusement sur et avec des hommes, dans des montagnes rudes où les mâles sont rois. Les descriptions poignantes, parfois tragiques et dures, sont tempérées par des séquences de la vie admirable de ces villageois, de leur culture millénaire et de leur environnement. «Le roman contient un humour fin qui adoucit les éléments dramatiques propres à toute guerre. Il est difficile de ne pas aimer cette communauté, ce peuple, cette famille et les personnages décrits. Bien que parlant de douleurs et de sang, on ne sort pas anéanti de la découverte du village de Toumkel et de la ville aux remparts, scènes de déroulement d'une histoire poignante et tendre», explique par ailleurs l'auteur. Le roman est émaillé d'anecdotes concernant le vécu du personnage central, Mohsa. La vie quotidienne de ce dernier est décrite avec minutie. Il s'agit d'une expérience spécifique, indique l'auteur. Car Mohsa, tout comme ses camarades, est séparé de sa famille dès sa tendre enfance. «C'est un récit dont on sort bouleversé quelque peu, mais aussi grandi et humble. Un livre qui peut parler à tout être humain sensible à la guerre et au malheur de son prochain. La guerre dans sa concrétude humaine, qui ne tue pas l'espoir et la fraternité», conclut Abderrahmane Si Moussi, le romancier, le psychanalyste aussi.