Les Sahraouis disposent du strict minimum peut-être, mais ils le partagent et aucun n'est au-dessus des autres Dans l'immensité désertique de la Hamada, au sud de Tindouf, un peuple héroïque résiste à tout et depuis près de trente ans de combat, un ennemi redoutable: celui de l'accaparement décidé au nom d'un je-ne-sais quoi par une nation censée être un pays frère. Au départ, c'étaient les Espagnols qui colonisèrent cette partie du Maghreb et en firent un îlot à leur convenance. Puis le Maroc du roi, et contrairement à la logique des choses et au cours de l'histoire, s'en vint par une «marche verte» occuper la région prétendant la marocanité des lieux et foulant ainsi aux pieds la volonté du peuple sahraoui. Ce peuple, celui du Rio de Oro et de la Seguia El Hamra s'était levé comme un seul homme refusant la fatalité d'une occupation fut-elle celle d'un «frère». Depuis, le combat continue avec des armes d'abord, et ensuite sur l'arène internationale et dans le forum des nations. Conduit par le Front Polisario, le peuple du Sahara Occidental, dont une bonne partie est réfugiée en Algérie, continue à vivre, à éduquer ses enfants et à former son Etat en cette terre d'exil. Les camps de réfugiés, qui en souvenir de la terre des ancêtres, sont nommés comme les villes de là-bas et aussi organisés, comme dirait un jeune Sahraoui: «Comme si l'on devait repartir demain et aussi comme si l'attente durera encore», donc, dans ces camps bat le coeur du peuple sahraoui. Dans l'hacienda qui sert de camp d'accueil aux visiteurs, camp situé à Rabouny, à un jet de pierre de la présidence de la République sahraouie et des principaux ministères, et appelé le protocole, les responsables sahraouis vous accueillent avec cette générosité légendaire des peuples que seules les nations opprimées connaissent. La vie y est certes dure, ne serait-ce qu'eu égard à cet isolement que le voyageur arrivant du Nord ou d'ailleurs ressent face à cette immensité faite de sable et de pierres et remplie de silence! Mais aucun Sahraoui ne vous dira qu'il s'ennuie ou qu'il a hâte de quitter ces lieux. Bien au contraire, il semble que les journées de 24h ne suffisent pas à ce peuple debout ! Saâd le cuisinier, Brahim le directeur de ce camp ou encore les chauffeurs préposés aux liaisons, les gardiens et jusqu'au président de la République, personne n'habite la cité administrative confiée la nuit aux seuls veilleurs. Tous habitent dans les camps disséminés dans la Hamada. Ertah Ertah Ya Chahid Des médecins espagnols et des membres d'ONG venus par amitié à ce peuple digne et fier, ne se sont pas empêchés de confier leur admiration devant et la détermination de ce peuple et surtout devant son organisation. Ces gens-là, disait un jeune Algérien rencontré à Rabouny, «feront reverdir le Sahara». Bien entendu, il parlait ainsi devant la détermination des jeunes Sahraouis à poursuivre le noble combat des aînés : celui de la liberté et de la dignité! Quand le soir tombe sur la Hamada et que le soleil qui, en cette fin d'hiver, commence à darder ses rayons, s'oxyde, laissant la place toute la place à l'air soudain rafraîchi, les visiteurs se tiennent dans la cour du protocole et prennent un peu de cet air du Sahara. Un air chargé de volutes de mystères. C'est là qu'on essaie de mettre de l'ordre dans ses idées et remontent en surface les images aussi belles que fortes vues dans les camps. La parole est grave et la conversation se résume à l'essentiel; ne connaissent cet instant que ceux qui ont vu des choses et des hommes formidables! Le lendemain de notre arrivée de bonne heure, on est conduit à Smara, une wilaya sise à quelques kilomètres plus au sud de Rabouny. Le président Abdelaziz devait animer un meeting de solidarité avec des représentants des travailleurs et des comités de solidarité espagnols. En fermant les yeux, on se revoit dans un meeting partisan en Algérie. La foule, composée essentiellement de jeunes et de femmes, est assise à même le sol dans une vaste salle surchauffée. Parmi les Sahraouis, des jeunes gens: filles et garçons venus d'Espagne apporter le salut de leurs camarades aux Sahraouis. Le président Abdelaziz, assis au milieu des invités, écoute religieusement les discours, le plus souvent enflammés servis par les visiteurs qui se succèdent au micro. L'espagnol est roi, les traductions, ce me semble superflues, sont assurées par un jeune Sahraoui. La salle vibre et des youyous fusent! Le président Abdelaziz entre en scène, et dans un langage accessible à tous, commence par remercier les représentants des peuples des régions autonomes espagnoles venues apporter leurs messages de solidarité au peuple sahraoui. Le leader sahraoui enflamme la foule en lançant comme pour marquer son attachement à la voie tracée par les martyrs: Ertah Ertah Ya Chahid! L'assistance reprend en choeur. Nouwassilou el kiffah! Durant près d'une demi-heure Abdelaziz parle, il évoque la volonté du peuple de vivre libre en sa terre, et souligne que le plan Baker accepté par le Polisario reste la référence. La salle devient une véritable fournaise, on sort dehors et des nuées d'enfants nous entourent. On distribue des bonbons ramenés depuis Alger pour l'occasion. Les enfants sahraouis suivent un moment, le visiteur en réclamant en espagnol des bonbons «Caramellos! Caramellos!» Des Espagnols, les mains teintées de henné à l'occasion du Mouloud, tentent de nouer la conversation, hélas celle-ci s'est vite limitée à un sourire. Le président Abdelaziz sort et se dirige vers nous: «L'Expression? Alors ça va?» On a à peine le temps de rendre les civilités et déjà ses gardes du corps le dirigent vers la voiture. On essaie de visiter un peu ce camp: la wilaya de Smara, on est peiné par l'aridité des lieux. On fait un tour à la wilaya, à l'occasion de la visite présidentielle, elle est devenue une véritable fourmilière. On ressort et de là, on rejoint le camp du 27-Février. A la sortie de Smara, des policiers sahraouis confient au chauffeur deux passagers pour le camp du 27-Février, on m'explique: «On est obligé de prendre à bord des véhicules les gens qui veulent se déplacer, car c'est le seul moyen de transport mis à part quelques taxis qui coûtent assez cher!» Au camp du 27-Février, on est reçus par Mme Khedidja, la première dame du Sahara occidental, en son bureau de l'Union des femmes sahraouies. Elle nous fait voir les dégâts des eaux de l'hiver dernier et souligne: «Il n'y a eu finalement que des dégâts matériels et c'est tant mieux!» De fait, les bâtiments de ce camp et surtout les maisons individuelles ont souffert, les mêmes dégâts ont d'ailleurs été recensés dans toutes les wilayas. Les Sahraouis, du moins ceux qui ont quelques moyens, essaient de reconstruire en ciment. La première dame s'excuse, elle reçoit des représentants d'ONG. On visite le camp, beaucoup de dégâts certes, mais la volonté est toujours là. Au centre de santé, le responsable nous dit son contentement, il a reçu une dotation en produits pharmaceutiques. De l'école, les enfants sortent et rejoignent leurs domiciles comme tous les enfants dans un joli brouhaha, même si la jeune enseignante s'était évertuée à les ramener en rangs jusqu'à la sortie. Sahara En Mi Corazon! Il fait chaud, on est épuisé et le chauffeur roule d'enfer. La piste ne garde aucun secret pour lui et le véhicule évite adroitement les nids-de-poule de la piste. En rejoignant, avec un autre «chargement de personnes» désireuses de rejoindre Rabouny, la route, le chauffeur appuie un peu plus sur le champignon. La voiture, un puissant 4x4 de la direction du protocole file vers la cité administrative. C'est exténués que nous sommes rendus. En attendant l'heure du déjeuner, qui n'est fixée que par le gentil Saâd, un ancien combattant qui annonce à ses invités le moment venu «El Comes!» On s'installe sous un préau pour prendre un peu d'air. On entend surtout l'espagnol! De toutes les provinces de ce pays et des pays hispanisants, des dizaines de jeunes gens, garçons et filles, et des médecins sont venus. Plus tard à l'aéroport, un gendarme nous confie: «Durant la première décade d'avril, il y a eu 62 vols venus la plupart de Madrid. La direction du protocole disait d'ailleurs avoir reçu près de 2000 personnes, toutes réparties à travers les camps où elles logent dans des familles. Généralement, des familles dont ils ont eu les enfants lors des vacances d'été. Une doctoresse espagnole, la Dr Sonia, qui est venue régulièrement dans les camps, résumait cela de la belle manière en s'écriant: «Sahara en mi corazon!» ce qui se traduit par «le Sahara au coeur!» Les Sahraouis rencontrés savent ce qu'ils doivent à l'Algérie. Tous diront: «Sans l'Algérie, que serait-il advenu de notre peuple?» Aujourd'hui, l'on ne peut qu'être admiratif dans ce qui a été fait dans les camps de réfugiés où flotte l'emblème national sahraoui. Un Etat avec tout ce que cela comporte comme administrations et services est édifié et tout cela en prenant le soin de faire en sorte que «demain peut-être sera le jour du retour à la terre des ancêtres». Ainsi, une radio, une télévision, une agence de presse fonctionnent quotidiennement. Sans oublier les écoles, les collèges, les centres de santé, les hôpitaux, des brigades de gendarmerie, des postes de police, etc. Quand on approche du siège de la présidence ou des ministères, tout comme des sièges de wilaya, on est frappé par cette fébrile activité qui y règne. Le Sahara libre est réellement en marche. Les étrangers rencontrés sur place le confirment bien: ce peuple est indomptable! Les droits de l'homme? un non sens Les droits de l'homme dans les camps des réfugiés cela peut prêter à sourire. Mais la réalité est d'une autre nature. Dans ces lieux voulus comme des lieux de vie et aussi des lieux de transit, les responsables ont eu à coeur d'offrir aux Sahraouis tout ce qu'un Etat moderne peut offrir. Les Sahraouis disposent du strict minimum peut-être, mais ils le partagent et aucun n'est au-dessus des autres, jusqu'au président de la République qui habite, tout comme les autres réfugiés, dans un camp avec pratiquement les mêmes conditions. Selon son épouse, «le président Abdelaziz adore se retrouver au milieu de son peuple à converser de tout et de rien, c'est aussi une façon de faire de la résistance». Chaque réfugié a, à sa disposition, des médicaments et aussi des docteurs, des sages-femmes et des dentistes pour les premiers soins. Les cas les plus graves étant acheminés sur l'hôpital de Tindouf, voire d'Oran ou d'Alger. Des écoles et des collèges accueillent les petits, garçons et filles ayant les mêmes droits. En été, quand la Hamada devient très brûlante, les enfants sont envoyés soit en colonies au bord de la mer, soit dans des familles généralement en Espagne. Les hommes restés dans les camps ont la joie de recevoir les étudiants rentrés pour l'été, soit de Cuba soit d'Espagne ou encore d'Algérie et de Libye. Loin d'être coupés du monde, les Sahraouis ont presque tous des mobiles et grâce aux antennes de Djezzy et de Mobilis, peuvent facilement contacter les leurs se trouvant ailleurs. Le droit à l'information est aussi garanti dans les limites des possibilités du Polisario, outre la radio qui, pour la station centrale, émet 24h sur 24 ; des radios locales installées au niveau de chaque wilaya et une station de télévision ont commencé à émettre depuis peu. Les camps étant alimentés par des systèmes à l'énergie solaire. Les télévisions algériennes et la chaîne Al Jazeera étant, elles, captées depuis longtemps. La police et la gendarmerie sahraouies veillent à la sécurité de tous. D'ailleurs, on a appris que les dérapages sont assez rares. Les vols étant inconnus de même que l'alcool est apparemment proscrit. Les Sahraouis commencent à émigrer en Espagne notamment, afin de pourvoir aux besoins de leurs familles, mais d'autres sont soit dans le commerce soit dans l'agriculture, notamment à Tindouf, à Béchar ou ailleurs. Beaucoup de Sahraouis sont employés par l'administration des camps, mais le gouvernement sahraoui ne peut décemment pas assurer de salaire important, alors les jeunes, généralement des diplômés, sont-ils autorisés à émigrer vers les pays européens, plusieurs sont d'ailleurs établis soit en Espagne, la première destination des Sahraouis, langue oblige, ou alors vers Cuba ou dans certains autres pays. Le Sahara n'est pas et n'a jamais été une prison, et les réfugiés ont toujours été libres de quitter les camps et de revenir. Un jour, disait Saâd, le cuisinier du camp d'accueil pour étrangers, le protocole: «Je serai à Layoune et aussi à Dakhla comme à Smara, là-bas dans mon pays, alors si après cela, je meurs, tant mieux, j'aurai embrassé la terre des ancêtres!».