Les autorités sénégalaises ont promis de «ramener l'ordre» après des scènes de guérilla urbaine, ayant fait officiellement quatre morts, entre les forces de l'ordre et des jeunes réclamant la libération de l'opposant Ousmane Sonko, dont l'arrestation a libéré une exaspération accumulée devant la dureté des conditions de vie. Vendredi soir, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres s'est dit «très préoccupé» et a appelé «à éviter une escalade». Les tensions, sensibles depuis deux jours dans un pays habituellement considéré comme un îlot de stabilité en Afrique de l'Ouest, se sont intensifiées sans perspective apparente d'apaisement, la justice ayant maintenu M. Sonko en garde à vue. Plusieurs quartiers de Dakar et de villes de l'intérieur ont connu des affrontements d'une ampleur inconnue depuis plusieurs années, bien que la riposte policière semble se limiter essentiellement aux moyens anti émeutes. «Le gouvernement regrette la perte de quatre vies humaines», a dit en direct à la télévision vendredi soir le ministre de l'Intérieur, Antoine Félix Abdoulaye Diome, alors que le bilan était jusque-là d'un jeune tué jeudi dans le sud du pays. M. Diome a accusé Ousmane Sonko d'être responsable de ces violences en ayant «lancé des appels à la violence» et à «l'insurrection». Le ministre a condamné des «actes de nature terroriste» et lancé un appel «au calme, à la sérénité et à l'apaisement». Grâce à la campagne de vaccination en cours, il a aussi évoqué la «perspective de l'allégement du couvre-feu», qui aggrave depuis janvier la situation souvent déjà précaire de nombreux Sénégalais. A Dakar, la bataille a laissé après coup le spectacle saisissant de rues vidées de gens et de véhicules, jusqu'aux proches abords des lieux de pouvoir, et jonchées de projectiles de toutes sortes, entre les magasins tous fermés. Dans le quartier populaire de la Médina, des groupes de jeunes scandant «Libérez Sonko!» ont harcelé en jetant des pierres les très nombreux policiers, dans les nuages de lacrymogènes et les déflagrations de grenades assourdissantes. Les mêmes incidents se sont reproduits un peu plus loin près de la place de la Nation. Des blindés avaient été positionnés auprès de la présidence et ses accès bouclés. A Mbao, dans la grande banlieue, des pillards ont été aperçus sortant les bras chargés de marchandises d'un supermarché Auchan, dont au moins 14 magasins ont été attaqués et 10 «pillés», selon la direction du groupe français. L'arrestation, mercredi, de M. Sonko, troisième de la présidentielle de 2019 et pressenti comme un des principaux concurrents de celle de 2024, a provoqué la colère de ses partisans, mais aussi, disent de nombreux Sénégalais, porté à son comble les frustrations suscitées par les conditions de vie depuis la pandémie de Covid-19. Dans la foule, beaucoup exprimaient leur ressentiment contre le président Macky Sall. «Les manifestations doivent rester pacifiques et les forces de sécurité et de police doivent (...) permettre à ces manifestants d'exprimer leur opinion et volonté», a réclamé le porte-parole de M. Guterres, Stéphane Dujarric. Jeudi soir, des manifestants ont attaqué les locaux du quotidien le Soleil et de la radio RFM, jugés proches du pouvoir. Nombre d'enseignes françaises ont été attaquées, la France étant volontiers considérée comme soutenant le président Sall. Les écoles françaises dans le pays ont fermé, tout comme l'agence d'Air France. La garde à vue d'Ousmane Sonko doit s'achever aujourd'hui. Il sera présenté à nouveau au juge demain, selon ses avocats. M. Sonko a été arrêté officiellement pour trouble à l'ordre public, alors qu'il se rendait en cortège au tribunal où il était convoqué pour répondre à des accusations de viol portées contre lui par une employée d'un salon de beauté dans lequel il allait se faire masser pour, dit-il, soulager ses maux de dos. M. Sonko, qui réfute ces accusations, fait l'objet d'une «tentative de liquidation aux fins d'élimination d'un adversaire politique», a dénoncé l'un de ses avocats, Abdoulaye Tall. Personnalité au profil anti système, le député crie au complot ourdi par le président Sall pour l'écarter de la prochaine présidentielle. M. Sall a démenti fin février, mais gardé le silence depuis sur l'affaire. Des restrictions sur les réseaux sociaux et les applications de messagerie, affectant le partage de photos et de vidéos, ont été relevées. Les autorités ont par ailleurs suspendu jeudi deux chaînes de TV coupables selon elles de diffuser «en boucle» des images de violence.»Les autorités sénégalaises doivent immédiatement cesser les arrestations arbitraires d'opposants et d'activistes, respecter la liberté de réunion pacifique et la liberté d'expression», a demandé Amnesty International. Reporters Sans Frontières a condamné une «vague de violations de liberté de la presse inédite ces dernières années, dans ce pays d'Afrique de l'Ouest».